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luc kerleo

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Notes sur l'amplificateur(Edit)

et autres effets spéciaux



mise en pièces(Edit)

« Ces sons, tu les as enregistrés? ». Cette question m'a souvent été posée concernant un travail très particulier : il s'agit de mon véhicule personnel dans lequel j'ai placé des micros de contact sur des pièces mécaniques afin d'amplifier et de donner à entendre des sons qui habituellement sont difficilement audibles parce que recouverts par le bruit prédominant du bloc moteur et des gaz d'échappement. Oui, j'avais fait opéré une petite expérience qui consistait à enregistrer sur un trajet d'environ un quart d'heure les sons provenant d'organes mécaniques tels que : vase d'expansion, ressort d'amortisseur, biellette de direction, commande de boîte de vitesse, servo-frein. La seconde partie de l'opération consistait à écouter l'enregistrement, c'est-à-dire à écouter les sons non pas via le système audio de l'habitacle du véhicule, situation dans laquelle je les donnais à entendre en temps normal, mais dans une autre situation, une situation spécifique d'écoute. L'expérience sensible se révélait alors ne pas avoir grand-chose à voir avec celle de départ. C'est que le véhicule amplifié est un acte qui avait été conçu comme quelque chose qui devait s'insérer dans une situation, dans un contexte assez précis qui est le déplacement d'une ou plusieurs personnes dans un véhicule sur le réseau routier.

. Ce qui constituait la proposition artistique se révélait être un fait spécifique dans un contexte précis: des bruissements mécaniques d'un véhicule particulier amplifiés et diffusés dans l'habitacle. Outre le fait qu'il était nécessaire pour que les pièces amplifiées vibrent le fait que le véhicule soit en mouvement participait à la synthèse d'ensemble de la proposition artistique.

. Cette pièce était sa propre situation de présentation.



Le son dans le champ de la création est sous-entendu comme relevant des arts médiatiques. La destination du son serait les médias. L'immense majorité des travaux de création se conforme en effet à des formats médiatiques. La stéréophonie est la base technique de cette architecture de type médiatique.

. Or je pense que mon activité ne requiert pas d'exister via des médias. C'est une activité qui ne se structure pas dans l'optique d'un passage dans un système médiatique. Il s'agit de purs faits, qui ne supposent pas une retranscription dans l'espace et/ou le temps.



Au départ je menais de front une double pratique. Je travaillais sur des bandes-son au moyen de divers appareils électro-acoustiques: synthétiseur, microphones de contact, réverbération numérique, chambre d'écho. Dans le même temps j'exécutais de nombreuses peintures sur des supports de récupération, carton notamment, multipliant ainsi les expérimentations picturales. Des mutations dans ces deux pratiques les ont amenées à converger puis à fusionner pour finir par m'amener à quelque chose qui ne ressemble plus ni à l'une ni à l'autre.



Dans plusieurs de mes pièces je travaille avec des générateurs sonores autonomes, non-synchronisés les uns avec les autres que je dissémine dans l'acoustique d'un lieu. Les technologies audio actuelles se révèlent dès lors peu appropriées à une bonne part des travaux que je développe. Je développe alors ma propre technologie. Pour chacune de mes pièces je construis un dispositif, une sorte de microcosme qui comprend généralement un ou plusieurs générateurs de sons qui sont branchés sur autant d'amplificateurs et qui alimentent autant de haut-parleurs.



Un certain nombre de choses me font établir un lien de comparaison assez direct entre la stéréophonie et l'espace cadré du tableau classique. Dans l'un comme dans l'autre il est question d'un point central de perception.



aux alentours de la mise au point

Lors de ma première année aux Beaux-Arts j'avais aménagé dans mon appartement les cadres d'une pratique de peinture en grande quantité. J'utilisais des supports de récupération et des couleurs acryliques industrielles pour pouvoir mener mes expérimentations en quantité et au rythme auquel mes réflexions me demandaient de peindre sans avoir à me préoccuper d'une quelconque limite matérielle. Je passais progressivement d'une approche figurative assez graphique, une sorte de dessin au pinceau sur moyen format, à des surfaces entièrement occupées par des nuances de couleur, ou encore, des systèmes répétitifs de traits, taches, bandes noires ou colorées. J'expérimentais des nuances de densité, de luminosité. Je laissais progressivement tomber la composition picturale au profit du rapport à l'espace. Je ne m'intéressais plus tant à ce qui se passait entre les différents éléments intervenant dans une peinture qu'aux relations entre celle-ci et l'espace dans laquelle elle se trouvait. Je m'intéressais à la façon dont une peinture entrait et sortait du champ visuel, à la façon dont elle circulait en périphérie de ce champ.


bas-relief

En démontant le système technologique d'un magnétophone à cassette stéréo je m'étais aperçu que celui-ci comportait deux pistes nettement séparées, un peu comme deux magnétophones collés l'un à l'autre. J'entrepris alors de rendre autonomes ces deux pistes afin de pouvoir enregistrer séparément sur l'une ou l'autre de ces pistes. Ce système de double piste que l'on retrouve dans tous les équipements stéréophoniques a pour fonction de modéliser notre perception binaurale qui est basée sur le fait que, nos deux oreilles étant éloignées d'environ 17 centimètres l'une de l'autre nous percevons un relief sonore dans notre environnement acoustique courant. De par ce léger décalage dans l'espace chaque source sonore qui se manifeste dans l'espace acoustique nous parvient d'une façon légèrement différente à chacune de nos oreilles, différence de volume, de temps, de spectre, etc. Partant de cette donnée j'ai entamé tout un cycle de création de bandes son dans lesquelles j'introduisais des différences entre les deux pistes de mes bandes stéréophoniques, allant même jusqu'à créer chaque piste totalement individuellement l'une de l'autre pour ne les réunir que dans la dernière étape de travail. Dans un premier temps j'ai travaillé à générer des effets de stéréophonie les plus poussés possible. Cela impliquait que le contraste entre les deux pistes reste dans des limites, notamment que chaque piste soit le miroir tout au plus déformé de l'autre. Puis j'ai franchi les limites de la cohérence stéréophonique, produisant des expériences sonores monstrueuses. J'ai beaucoup travaillé à construire des espaces stéréophoniques dont je poussais les sensations de relief à l'extrême en poussant les décalages entre les deux pistes aux limites de la cohérence stéréophonique que peut reconstituer l'écoute.

. Lors de mon cursus aux Beaux-Arts, dans le cadre d'une journée de formation à la prise de son j'ai eu l'occasion de faire écouter à l'intervenant, ingénieur du son de son métier, une de mes bandes. Il a tout de suite été frappé par la distorsion de la stéréophonie deux sons quasi-désynchronisés entre la droite et la gauche et quasiment aucun son au centre.

. Le phénomène de relief de la stéréophonie commençait pour moi à sortir de son cadre. La stéréophonie devenait comme un modèle réduit de l'espace acoustique réel. Il ne s'agissait plus de créer un espace qui soit réaliste mais pur phénomène de relief poussé à l'extrême. Mais c'est alors que le relief craquait et devenait espace.


friche

Lors de l'exposition de fin de cursus de beaux-arts je me suis trouvé en situation de devoir ré-évaluer les formes que j'avais élaborées jusqu'alors. Auparavant pendant une période d'environ deux ans je m'étais acharné à faire apparaître de l'espace à l'intérieur même des bandes-son et j'avais d'ailleurs obtenu des résultats intéressants et instructifs en ce qui concerne la capacité de l'écoute à pouvoir faire appel à des expériences spatiales du quotidien et de basculer ainsi dans une richesse spatiale à partir de stimulations sonores les plus réduites possibles. Mais ces bandes étaient destinées à une écoute en situation d'isolement sonore (casque stéréo, auditorium, installation hi-fi domestique). Or voici que je me trouvais dans la situation d'un espace physique occupé de façon collective et pas du tout aménagé pour une projection sonore. Je devais trouver une solution pour présenter une pièce dans une situation dans laquelle deux pré-requis manquent à une présentation d'une bande-son, ces pré-requis étant le silence d'une part et le positionnement des oreilles de l'auditeur dans un placement équilibré entre les deux haut-parleurs de la stéréophonie d'autre part. Dans ce genre de situation les formes visuelles et en dur se trouvent de fait privilégiées car elles bénéficient d'un long passé de d'ajustement mutuel entre elles-mêmes et la situation d'exposition. Depuis que ce genre de pratique existe les architectures, équipements et aménagements dédiés aux expositions se sont développés pour répondre aux besoins de la présentation d'oeuvres d'arts visuels aux visiteurs. Par contre du fait de son apparition en tant que matériau artistique dans les expositions le son n'y trouve pas un terrain neutre. Notamment les salles d'exposition sont généralement très réverbérantes et les sons émis par des oeuvres produisant des sons se trouvent modifiés par l'importante résonance qu'ils provoquent dans le lieu.

. L'autre obstacle consistait en une impossibilité de placer les visiteurs au sommet d'un triangle dont la base se trouverait entre les deux haut-parleurs, comme cela est le cas par exemple dans un auditorium. En effet pour mettre au point un enregistrement les ingénieurs du son travaillent généralement à équilibrer des sons entre les deux pistes. Et cet équilibre est conçu en partant du principe que chaque auditeur se trouvera à égale distance des deux enceintes d'un équipement stéréophonique. Or dans une exposition collective un même espace est généralement partagé entre plusieurs exposants. Ce partage, lorsqu'il est opéré de façon sensible, créative et intelligente constitue même un aspect stimulant de l'exposition. Les visiteurs déambulent dans l'espace avec une relative liberté et construisent eux-mêmes leur point de perception des oeuvres. Dans ces conditions il était vain que je travaille un enregistrement stéréophonique qui serait restitué de façon totalement déséquilibrée dans un espace d'exposition. Je me trouvais dans la même situation qu'un peintre classique dont la toile ne serait présentée que de biais aux visiteurs, ce qui en détruirait la construction perspective, produisant une anamorphose. Et c'est justement le phénomène de l'anamorphose qui m'a inspiré. En vue de mieux comprendre ce qu'est l'espace je me suis amusé à distordre un des systèmes qui le représente.



décortiquer l'espace

Dans 1/25000, pièce conçue et réalisée à l'occasion de mon exposition à La Station à Nice en 1996, j'ai démultiplié une bande son en une quinzaine de points d'émission par groupe de fréquences. Une bande son était spatialisée mais sur un mode bien spécial: le signal était séparé et décomposé par des filtres de fréquences puis acheminé dans l'espace d'exposition par groupes de fréquences situés en différentes zones: les fréquences aigües diffusées en un point, les extrêmes graves en un autre, les bas médium encore ailleurs, etc.

. Les systèmes de spatialisation conçus par des ingénieurs de l'industrie audio-visuelle (hi-fi, sono) ont pour fonction de reconstituer dans un espace acoustique réel un autre espace, uniquement sonore. Au contraire dans cette pièce la diffusion sonore ne se surajoute pas au lieu. Elle crée un phénomène sonore spécifique qui ne recherche pas la cohérence avec une référence acoustique réelle qui se trouverait ailleurs que dans l'exposition.



Lors de mon exposition au Caméléon (Erratum, Besançon, 1998) j'ai utilisé une douzaine de walkmans lisant chacun une cassette différente. Ayant enregistré séparément les deux pistes de chaque cassette je me retrouvais alors avec deux douzaines d'enregistrements diffusés simultanément. La diffusion dans l'espace se faisait par vingt quatre haut-parleurs miniatures répartis tout autour de la salle légèrement au-dessus de la tête des visiteurs. L'ensemble produisait un bruissement aigu audible comme bruit de fond dans le lieu. Le son diffusé par chaque haut-parleur devenait audible indépendamment pour le visiteur si celui-ci s'en approchait.



arpenter un temps

Un Clocher (label Kaon, Limoges, 1998) est une bande stéréophonique dans laquelle on a trois exemples d'un système dans lequel un seul son se trouve démultiplié un grand nombre de fois dans le temps et dans l'espace de la stéréophonie. Je travaille ainsi à constituer une situation qui puisse s'arpenter par le jeu de l'écoute. Je n'aborde plus le temps comme une ligne mais comme une étendue.

. De façon générale je conçois celles de mes pièces qui se présentent sous forme d'enregistrements comme des choses qui demandent à être répétées, relues, écoutées et ré-écoutées, parcourues. La construction dans le temps n'y existe pas pour elle-même mais pour générer un espace. Je cherche à produire un temps ralenti de façon à ce que les spectateurs puissent détacher leur écoute du présent immédiat et acquièrent des degrés de liberté par rapport à ce qui apparaît dans le temps de l'enregistrement.


en marchant

Je ne voulais plus contribuer à cadrer les comportements humains en véhiculant l'injonction « écoute! ». Je me suis intéressé à la pensée, aux errements de la pensée.


Protection N°8 (La Box, Bourges, 2000) est une exposition dans laquelle l'espace est vide de toute intervention visuelle. La présence plastique y est exclusivement sonore. j'avais disposé plusieurs sources sonores autonomes les unes des autres. Cet ensemble, en cohabitant dans une même acoustique, formait un environnement. La salle d'exposition était vide de toute intervention visuelle. Il n'y avait pour ainsi dire « rien à voir ». Alors que je travaillais à l'accrochage de cette exposition on m'a suggéré de disposer des chaises au milieu de la salle d'exposition pour que les visiteurs puissent s'asseoir et écouter. Mais face à mon refus de cette proposition c'est en fait une angoisse de l'espace visuellement vide qui se manifestait.

. Il n’y a pas de chaises dans mon exposition parce que les chaises ça sert à s’asseoir. Les chaises nient la forme de et dans l'espace qu'adopte cette exposition. La station debout est une position réceptive plus ouverte que la position assise qui, elle, assigne le visiteur à une position bien précise dans un lieu. L’un des caractères du travail présenté est qu’il est sonore. Si je dispose des chaises dans l'espace j’instaure un protocole d’écoute ( auditorium par exemple) qui vient de pratiques artistiques qui ne sont que sonores, où le son n’est pas un choix. Or dans ma pratique au sein des arts visuels le son est déjà, en lui-même, un choix.

. Face à une proposition plastique la marche est la position active de l’être humain, c’est-à-dire sa position d’autonomie, la position comportant le plus de potentiel, le plus d’ouvertures possibles quand à la réaction qu’il peut avoir par rapport à ce qui lui est présenté. Le corps est un outil de spéculation. On place sa perception dans l’espace au moyen du corps. Mes pièces se destinent à des personnes qui assument leur situation active.



Dans le cadre d'une exposition personnelle J'avais, de plus, et contrairement aux suggestions des personnes en charge du lieu, pris bien soin qu'aucunes rangées de chaises mimant l'auditorium et suggérant l'écoute ne soient disposées dans la salle. Le photographe a été dérouté lorsqu'il lui a fallu procéder, comme lors de chaque exposition, aux prises de vues. Suite à une confusion de pellicules il a été question qu'il refasse des photos mais, n'étant pas disponible à nouveau dans le créneau de durée il a refait ces photos après que l'exposition ait été démontée en profitant d'un créneau où la salle était vide.



dessiner dans le plein

Pour moi, dans le champ du visuel, le son intervient par indices.

Contrairement à ce qui a cours dans la tradition occidentale des arts faisant intervenir le son je ne travaille pas dans le silence. J'insère mes sons dans le bruit ambiant. Invité à faire un workshop à la Villa Arson à Nice j'ai mis en route une sirène dans la salle dans laquelle j'avais demandé aux étudiants de réunir du matériel. Je demandais alors aux participants au workshop de poser des actes qui puissent trouver une existence dans cette bulle déjà sonore.

. Lors d'une évaluation durant mon cursus d'études j'avais présenté une performance qui consistait à m'enfermer dans ma chambre d'étudiant durant toute la durée des examens et à ne faire apparaître de mon travail que des sons retransmis par liaison filaire dans une salle de type salle d'exposition à usage interne à l'école d'art. Préparant cette performance je m'étais rendu compte combien la réverbération de cette salle rendait inintelligibles les sons que j'allais diffuser dans ce lieu. J'avais alors précipitamment entrepris de diminuer le phénomène de réverbération en recouvrant les murs de la salle d'épais rideaux de velours. La réverbération avait quasiment disparu, rendant les sons sortant des enceintes beaucoup plus distincts mais la répercussion visuelle de cette transformation acoustique modifiait radicalement l'apparence du lieu, transformant une salle aux murs blancs en un endroit qui prenait des allures de chapelle. Réagissant à cet effet qui m'avait complètement surpris je me mis à envisager de travailler avec les lieux tels qu'ils existent en eux-mêmes, tant sur le plan visuel qu'acoustique.

. Lors d'une soirée de musique expérimentale j'ai présenté une performance basée sur la lecture d'enregistrements très brefs entrecoupés de longs silences. J'étais dans le public, orienté à quatre-vingt-dix degrés avec un ordinateur et des enceintes de sonorisation orientées elles aussi perpendiculaires au public. En cliquant sur un point représentant un fichier je déclenchais la lecture de ce fichier, lecture qui ne durait pas plus de quelques secondes. Puis je laissais quelques dizaines de secondes s'écouler avant de déclencher la lecture d'un autre son. Par un rapport entre les frgments sonores et les durées de silence je cherchais à produire une conscience de la situation concrète de la salle de concert, à redonner une existence concrète à cette salle et au fait que des gens s'y trouvent.



le distributeur

Les contextes d'exposition très particuliers ont à plusieurs reprises agi chez moi comme des stimulants et déclencheurs de nouvelles idées. Un des gestes récurrents encore à l'heure actuelle dans ma pratique et qui consiste à concevoir des pistes sonores très courtes s'est révélé pour moi lors d'une exposition collective qui avait collectivement pris le parti d'une forme de type caverne d'Ali-Baba. Il s'agit de 49F90, exposition qui a pris place à Nice Fine Arts, lieu d'exposition indépendant géré entre autres par Axel Hubert et Noël Dolla. Venant de deux artistes très attentifs aux intéractions entre les lieux d'exposition et les oeuvres qui y sont exposées l'idée n'était peut-être pas innocente. L'initiative de cette exposition partait pourtant d'une donnée très triviale: vendre toutes les oeuvres exposées pour 49 francs et quatre-vingt dix centimes afin de récolter de l'argent pour payer le loyer du lieu. J'y ai présenté un « distributeur », un boîtier blanc muni d'un casque d'écoute stéréophonique qui donnait à entendre 5 secondes d'un enregistrement chaque fois qu'on y glissait une pièce de vingt centimes. La durée totale de l'enregistrement était définie de façon à ce qu'une personne introduisant la somme totale de cinquante francs en pièces de vingt centimes entendrait la durée totale de celui-ci.

. Dans cette petite salle aux allures de bazar surchargé l'audition en isolement de cinq secondes d'un espace sonore étranger (venant d'un enregistrement) produisait un effet de basculement, une coupure-éclair par rapport au bruit visuel et sonore environnant. Du fait notamment de la coupure provoquée par le port du casque, ainsi que de la stéréophonie le son diffusé par le distributeur recouvrait le son ambiant de la salle d'exposition tandis que l'environnement visuel réel prenait l'allure d'une image.



Invité à présenter un travail dans une laverie automatique j'ai créé un environnement sonore intermittent dans lequel des groupes de fréquences pures modulées se relaient et se chevauchent sur une durée d'une quinzaine de secondes à intervalles d'environ deux minutes.



J'ai publié un objet presque normal: un disque compact. Deux choses cependant: d'une part ce disque n'est pas une œuvre sonore mais une banque de sons. D'autre part le disque se trouve en deux exemplaires identiques dans un même boîtier. J'en appelle à une réinjection dans une situation propre à l'auditeur de cet objet édité, celui-ci pouvant jouer deux exemplaires du disque de façon simultanée sur deux lecteurs autonomes l'un par rapport à l'autre.



Une des situations qui saute c'est celle du cadre. Dans les arts visuels le cadre de l'objet avait explosé, tant par des choses de l'ordre de la peinture all-over que de l'environnemement en tant qu'espace retourné dans l'espace par rapport à la sculpture dérivée de la statuaire. Dans le même temps quand on pense au son le repère que l'on adopte spontanément est celui d'un cadre rigide de situation d'écoute: l'auditeur immobilisé en position assise dans une position centrale par rapport aux sons qui lui sont présentés. Certains artistes sont sortis du cadre de l'écoute mais en arrimant aussitôt leurs sons à des objets que sont les outils de diffusion, exemple: enceintes design.



un bruit suspect(Edit)

ou l’électronique comme vecteur critique


. L’apparition de l’électronique dans les différents champs d’activité humaine semble être un fait suffisamment marquant pour que certains courants musicaux se définissent par rapport à elle. Ces dernières années est réapparue l’expression "musiques électroniques", appellation antérieurement donnée durant les années cinquante, plutôt au singulier, à une branche de la création musicale relevant plus des musiques savantes que de la pop. Étrange chose que de nommer une esthétique musicale non par le sens qu’elle développe, ou par le projet qu’elle se donne, mais par les techniques qui la constituent, un peu comme le terme "fresque" est employé pour désigner les peintures murales, alors qu’il doit son existence à une technique historique d’exécution de peintures consistant à appliquer de la couleur sur un mur tant qu’il n’est pas sec. On pourrait penser que la technique intervient pour exécuter un projet, et non pas pour le définir. Le créateur abandonnerait-il ses prérogatives à une autre instance qui n’est plus artistique mais technique, simple technique de production ? Les machines seraient-elles devenues des artistes ? Mais sait-on vraiment d’où viennent les machines ? Ou plus précisément, de quel projet viennent-elles ? Dans certaines oeuvres de science-fiction on peut assister à la révolte de machines, qui se retournent contre les humains, leurs créateurs.


re-produire

L’électronique n’a pas été introduite dans la musique pour se faire entendre. Ce qu’on lui demande c’est d’accomplir de façon docile, et sans bruit dans le cas de la musique, un ensemble de tâches relatives à la réalisation d’un projet musical pré-défini. Il s’agit alors de produire une nouvelle fois, dans un autre espace, dans un autre temps, quelque chose qui s’est produit de façon singulière dans un contexte donné. C’est que le son est un matériau qui, bien qu’ayant un indéniable impact sur le sensible, se comporte sur le plan physique d’une manière qui pose problème à notre système économique et culturel. L’électronique nous sert alors bien souvent à gommer certaines spécificités de la matérialité physique du son, spécificités que nous interprétons et comprenons souvent en terme de limites. Dans ce type d’approche, la technique n’est pas intégrée dans le projet artistique. Elle intervient en aval du projet, dans sa phase d’exécution et non dans sa phase de conception. Le projet artistique précède la mise en œuvre technique. Et en terme de projet ces deux étapes sont étanches l’une par rapport à l’autre. Le train artistique part avant que la technique n’ait le temps d’y embarquer. Si nous considérons la technique comme étant la manière de réaliser un projet, alors dans ce cas de figure cette manière de réaliser n’est pas remise en jeu, n’est pas réinventée. Dans ce cas de figure, la technique existe par présupposé, par une idée statique qu’on s’en fait. On part alors d’un point de départ qui est que sous certaines conditions de mise-en-œuvre elle va accomplir sans histoire la tâche qu’on lui assigne. Un projet artistique est alors élaboré, puis, dans un second temps, des techniques sont recherchées et missionnées pour réaliser ce projet. Dans le domaine du son, la technique est fréquemment chargée de re-produire, c’est-à-dire de produire quelque chose qui a déjà eu lieu dans un autre temps ou un autre espace, une autre échelle, une autre culture. Dans ce cas, elle tient le rôle de média : elle amène le son dans un contexte où se trouve l’auditeur, et où ce son, dans des conditions naturelles n’y est pas. Elle prête sa puissance à un pouvoir qui cherche à faire entendre un son donné en toute, du moins en un maximum, de circonstances d’espace et de temps. Il s’agit d’un acte de pouvoir qui dote certains sons, ceux choisis par l’artiste, d’une puissance spatiale et temporelle que le phénomène du sonore dans son état naturel n’aurait pas. Un son est jugé satisfaisant dans un contexte donné, alors que dans le même temps l’artiste juge qu’il manque certains attributs de puissance, d’occupation de l’espace et du temps à ce même son pour atteindre d’autres contextes. Il s’agit donc de conserver l’élément de départ tout en le dotant d’attributs de puissance, une sorte de "géométrie du pantographe", cet instrument très simple de graphisme muni de deux pointes dont l’une sert à suivre les lignes d’un dessin tandis que l’autre, traçante, reproduit ces mêmes lignes, mais multipliées en taille : la même figure, mais en plus grand. L’électronique ici est convoquée pour donner une autre échelle à un son déjà existant (déjà né d’un projet artistique) dans les proportions les plus exactes possible. Il est important que cette transposition se fasse à l’échelle, dans le plus grand respect des proportions. Il en va de la puissance de conviction de l’illusion, de sa capacité à faire croire qu’elle est autre chose que ce qu’elle est. Il faut en effet que l’illusion rappelle au maximum ce à quoi elle se réfère, autrement dit, qu’elle gomme son caractère d’illusion, qu’elle se fasse passer pour autre chose que ce qu’elle est. Car en tant que telle, elle n’est pas reconnue comme étant une entité musicale. Elle ne bénéficie d’aucun crédit par rapport à l’autorité musicale de référence, le système dominant de jugement. Son crédit, elle le tient d’un procédé de camouflage, quelque chose de quasi-optique, une simple surface des choses qui fait croire que derrière elle se trouve toute la richesse, déjà reconnue, de ce à quoi elle fait référence. Ici l’innovation technique va de pair avec la conservation artistique. Les technologies audio mises en oeuvre contribuent à produire une vaste entreprise de conservation, un musée de la musique. Les différentes normes de fiabilité, la Hi-Fi par exemple, agissent comme des labels de conformité. Ainsi, la gestion du son dans le champ musical a connu en un siècle des innovations manifestes, sans qu’y soient incluses de considérations artistiques. Le son, élément matériel constitutif de la musique, est un phénomène physique auquel la technique n’a cessé pendant un siècle de tenter de donner des caractéristiques qu’il n’a pas de façon naturelle. Sur le plan physique, la musique est composée de sons. Elle est donc tributaire, sur le plan matériel, des caractéristiques propres à ce matériau qu’est le son. Toute l’application de la technique va donc consister à étendre ce que la musique est déjà, mais en s’affranchissant de ses limitations matérielles. Ceci va se faire par une double transposition : du son en d’autres états matériels, puis de ces états matériels à nouveau en son. Ce processus va se complexifier, par rajouts successifs d’étages : mécanique, électrique, électronique, numérique. Dans son état naturel, hors de l’intervention des technologies électroniques, le phénomène du son peut être décrit comme une variation dans le temps de la pression acoustique. L’essentiel de l’exercice consiste alors à produire une variation dans le temps d’une tension électrique, variation qui soit proportionnelle à celle de la pression acoustique du son auquel on se réfère. On peut considérer l’électronique, dans son application audio, comme un monde en miniature, une transcription la plus fidèle possible à l’échelle électronique de phénomènes acoustiques. Un grand nombre de faits sonores peuvent y être reproduits sous forme de modulations de courants électriques dans le temps. De plus, modifier des signaux électriques en eux-mêmes conduit à obtenir des sons modifiés après que ces nouveaux signaux électriques aient été retransformés en sons par le biais d’amplificateurs et de haut-parleurs dans la phase de relecture.

. Les divers procédés techniques mis en œuvre pour gommer les limites du son ont tendance à imprimer leur marque propre sur ce qu’on leur demande pourtant de transmettre de la façon la plus neutre possible. Les différentes étapes de transcription, mécanique, électrique, électronique, numérique viennent s’ajouter en ordre (tant historique que d’un point de vue technique) les unes aux autres, chacune étant sensée prendre le relais là où la précédente s’avère ne pas produire une illusion suffisamment convaincante. Par exemple, dans le cas du phonographe des bruits se surajoutent au son reporté sur le disque ; des limites de transmission apparaissent. Ces phénomènes sont relatifs au procédé mécanique de transcription du son. On va donc par la suite faire intervenir une étape d’électrification, puis d’électronique, pour aboutir à l’électrophone, instrument de lecture qui utilise la mécanique (la pointe de lecture suivant les minuscules aspérités présentes dans le sillon du disque) et qui passe immédiatement le relais à l’électricité, qui elle-même passe le relais à l’électronique. Du côté du créateur, l’irruption de l’électronique, en tentant là aussi de gommer au maximum les manifestations de sa présence, a fait apparaître des situations de travail radicalement nouvelles. Un espace de travail très particulier est apparu : le studio d’enregistrement. Cet espace s’organise autour d’un système d’enregistrement décomposé : le système multi-pistes, qui consiste en un dispositif sur lequel l’opérateur peut pratiquer plusieurs enregistrements indépendants les uns des autres sur le même support. Les différentes pistes enregistrées sont ensuite rassemblées par une manipulation, le mixage, qui fait apparaître les sons de chacune de ces pistes dans le même temps, groupées. Divers appareils périphériques servant à traiter les différentes pistes son sont utilisés pour accentuer encore cette vraisemblance. Afin d’affiner le travail de correction ( d’accentuation de la vraisemblance) sur un ensemble sonore on a inventé ce système consistant à produire chaque piste sonore (dans le cas d’un orchestre, chaque instrument) indépendamment les unes des autres afin de pouvoir traiter spécifiquement chaque son. Il est possible de faire se rencontrer des sons qui n’avaient pas été produits séparément, mais tout l’effort consiste à donner l’impression qu’ils ont été émis dans la plus grande osmose. Le studio multipiste est utilisé pour re-créer un orchestre à partir d’éléments séparés, mais de la façon la plus vraisemblable possible. Le travail de fabrication de la musique se scinde alors petit-à-petit en de multiples étapes qui ne tiennent plus ensemble que par l’évitement de la remise en cause du projet artistique qu’il sert. Le surajout d’étapes de transformation du son va en fait donner aux artistes de plus en plus de points sur lesquels ils vont pouvoir intervenir, des points de déstabilisation. Il reste alors à faire sortir de ses rails le projet relatif à l’application de l’électronique dans la médiatisation de la musique.


signifier

En même temps qu’ils transitent majoritairement par le biais des médias les sons transitent également, et de fait, par une autorité esthétique, celle qui a formulé les règles canoniques de "qualité" de transmission du son. Car les médias n’ont pas, en eux-mêmes, de vision des choses, de projet, ne sont pas porteurs de sens. Leur vocation est d’adopter des projets qui les traversent, d’en adopter le sens. Mais cela va jusqu’à formuler sous influence un système de point de vue. Ils se reposent donc sur une autorité extérieure. Pour que l’électronique pose sa marque manifeste en terme de créativité, qu’elle nourrisse le projet artistique, il a fallu que des artistes s’affranchissent de cette tutelle sournoise. Il a fallu pouvoir faire de la musique sans justification extérieure, en se référant à un projet artistique inédit, se déployant selon des modes inédits. L’intervention de la technologie électronique produit des monstres sonores : sons-géants (amplification), revenants (enregistrement), sons-clones (copies d’enregistrements). Pourtant l’illusion semble opérer à un degré surprenant. Des transformations énormes du son ont lieu sans que cette énormité ne se manifeste à nos oreilles. Le son gonflé (amplification), transporté (câbles, ondes hertziennes), imité (synthétiseur), ressuscité (enregistrement-lecture), démultiplié (pressage), nous semble être le même que celui d’origine. Seuls se font entendre quelques restes bizarres que nous avons rapidement interprétés en terme de défauts, de déficiences, de limites. Physiquement, ces artefacts correspondent au fait que le phénomène physique dans lequel est transposé un son émet lui-même des traces de sa propre réalité objective. Nous embarquons des sons dans des "véhicules" de transmission, mais ces véhicules émettent leur propre son. Le projet de transmission se trouve parasité par des artefacts, des "défauts", des choses dont bon nombre de musiciens et de mélomanes se seraient bien passés (souffle de la bande, bruits de quantisation de conversion numérique, ronflements, "buzz", coupure de fréquences, etc.). Pourtant ces imprévus, ces sons et caractères sonores clandestins se trouvent être les points de stimulation d’un renouvellement du champ d’expression.

. Pour tirer parti de ces intrus sonores une rupture est à opérer entre l’artiste et le groupe social dont il est issu. Car ce qui fait signe pour l’artiste ne le fait pas automatiquement pour le groupe. Pour ce dernier, les solutions déjà connues d’expression semblent suffisantes à saisir tout ce qui peut se présenter. Les phénomènes imprévus du système sont récupérés et intégrés en terme de "nouveauté". En général les individus intégrés dans le système ne souhaitent pas forcément se déporter par rapport au groupe social qui les intègre. Ils préfèrent étouffer la manifestation de ce qu’ils ont à dire, y compris les phénomènes sonores qui pourraient porter un message inédit. On voit comment un certain nombre d’artistes se rangent plus facilement dans des pratiques esthétiques répertoriées, au prix de l’exclusion d’un certain nombre de choses à signifier, pour se voir plus rapidement intégrés dans un corpus de l’art, par ressemblance, par intégration mimétique avec ce qui est déjà reconnu comme étant de l’art. Comment un individu opère-t-il une escapade par rapport au groupe social dans lequel il est immergé ? L’opération n’est pas évidente, quand on pense que l’artiste cherche simultanément à aller vers des découvertes et à présenter ces découvertes au groupe culturel auquel il se rattache, ces découvertes qui peuvent rentrer dans un rapport de critique de la conscience dominante du groupe. C’est une acrobatie dialectique que l’artiste effectue. Pour échapper aux différents jeux de contraintes dans lesquels ils se trouvent pris les artistes tirent parti de divers stratagèmes. On retrouve souvent le phénomène du prétexte qui est invoqué par l’artiste pour justifier, y compris vis-à-vis de lui-même, une position étrange par rapport à une autorité esthétique. La première vague historique marquante de la musique électronique, la musique allemande des années 50, est apparue dans le cadre d’une idée musicale bien précise qui consistait à faire de la musique sans passer par l’étape de l’instrument peut être considérée sous cet angle. Suite à l’irruption des mathématiques dans la musique ( dodécaphonisme, sérialisme) une interprétation mathématique de la musique a commencé à se développer. Cette conception de la musique s’intéressait beaucoup plus aux hauteurs tonales produites par les instruments qu’à leurs phrasés et autres nuances timbrales. Dans ce contexte, les générateurs électroniques, instruments sortis des laboratoires scientifiques semblaient mieux se prêter à ce travail que les instruments de musique traditionnels. L’électronique paraissait constituer un lien plus direct entre le projet du compositeur et sa réalisation que la traditionnelle étape de l’interprétation instrumentale. Ici l’électronique ne participe pas vraiment à la définition d’un projet artistique, puisque celui-ci est apparu dans un contexte instrumental traditionnel au début du 20e siècle. Mais elle apparaît soudain comme le point privilégié de réalisation de ce projet. Cette musique électronique va bel et bien alimenter une part non négligeable de ce que l’on peut entendre actuellement. Mais ceci va se faire par une faillite, par un échec dans la réalisation d’un idée de départ. C’est que les seules variations de fréquences de purs sons électroniques déçoivent leurs créateurs eux-mêmes. Les choses auraient pu s’arrêter là si la singularité timbrale et la puissance expressive paradoxale de ces sons n’étaient pas apparues à des compositeurs. L’échec du projet artistique dans sa réalisation leur donne tout loisir de se tourner vers des ressources insoupçonnées de l’électronique.

. L’intégration de l’électronique dans la définition même du projet artistique exige un passage par un acte qui est proche de l’iconoclasme, d’une certaine inconscience, d’une certaine grossièreté. L’acte de faire entendre l’électronique fut, et reste en lui-même iconoclaste par rapport à la pensée qui anime l’activité de développement de l’électronique musicale. Dans le cas de l’utilisation de l’électronique dans la musique, précisément de par le fait des facilités, des souplesses de mise en oeuvre et autres réductions (relatives)1 de coût, des personnes se sont trouvées projetées dans une activité de pratique musicale sans être passées par un corpus ou un apprentissage, sans avoir été prises en tutelle par une autorité régissant leur activité musicale. Le novice se trouve, passée l’étape de cette apparente facilité, projeté dans un espace inconnu dans lequel il doit évoluer et dessiner son propre parcours. De plus cette situation n’est pas vraiment répertoriée dans les repères et systèmes de reconnaissance habituels de comportement qui ont cours dans la musique ou dans un autre champ de la création esthétique. On peut considérer les personnes projetées de cette manière dans cette situation d’action sonore comme des créateurs orphelins qui doivent tout d’un coup produire et mettre en œuvre leur propre intelligence de survie. Les arguments marketing jouent ici un rôle de déracinement, phénomène violent dont les victimes les plus créatives sauront cependant tirer parti. Projetés dans une situation de recevoir sur le même plan et sans hiérarchie tout ce qui leur arrive d’un point de vue sonore, sons prévus, autant que artefacts "indésirables", ces artistes inattendus ne sont pas en position de faire la part des choses en fonction d’un système de valeur. Ils surgissent dans une activité artistique non pas par le biais d’une autorité mais par celui d’un argument qui prétend, le temps de vendre un produit, qu’il n’y a justement plus besoin de passer par un corpus pour être instruit de ses méthodes et de ses valeurs pour faire de la musique. Cette situation peut aboutir sur une impasse, ou bien sur l’édification d’un système musical d’une créativité surprenante. Formulant leur propre vision de l’art des artistes vont tirer parti d’artefacts, de ce que d’autres interprètent en terme de défauts, de parasites et autres choses indésirables. Ici c’est la nature du projet artistique qui se distingue nettement de l’approche classique. On voit se manifester un positionnement complètement différent de l’artiste par rapport au modèle. Dans le système classique le modèle est étroitement lié à une autorité, se manifeste en terme d’autorité. Et dans ces conditions l’artiste ne s’autorise pas le loisir de se laisser distraire par des artefacts. Il doit soumettre la technologie à une pensée de l’art qui pré-existe à celle-ci. A contrario l’artiste, au moment où il s’autorise une initiative singulière sans se reposer sur la justification et l’autorité de choses pré-définies, se trouve en position de recevoir et d’écouter sans a priori tous les sons qui lui parviennent, autant les "mauvais" que les "bons". Les artefacts, les sons "en plus", non-prévus, non-reconnus par un système d’expression recèlent un potentiel d’expressivité à part entière. Ce potentiel est ignoré par la posture classique, qui, étant déjà intégrée dans un système, ne ressent pas le besoin de développer de nouvelles expressions. La posture classique pratique le lifting pour se réactualiser. Mais elle ne peut pas s’autoriser la remise en cause, la reconstruction, de ses propres bases. Mais l’électronique n’est pas non plus une entité artistique en soi. Les robots ne sont pas des artistes. L’électronique est un facteur de renouvellement de la musique, mais elle ne l’est que de façon conjoncturelle, dans un contexte historico-culturel donné, de par le déséquilibre qu’elle y provoque. Son irruption dans le champ musical peut être vu comme un coup de pied dans la fourmilière. Mais les choses retrouvent leur stabilité, en intégrant s’il le faut les éléments perturbateurs. Bien qu’elle ait pu être surprenante lors de son apparition ce qu’on appelle la musique électronique n’est actuellement plus en soi une ouverture du champ d’expression. Le déséquilibre provoqué par la surprise du nouveau a été compensé. Des systèmes de valeur, des grilles de jugement, des recettes sont apparues au fil de l’acceptation de ces musiques dans notre champ culturel. Intégrée dans un nouveau classicisme, la bulle de créativité est crevée. L’innovation d’hier rentre dans le patrimoine d’aujourd’hui. Un certain nombre des artistes choisissent de se faire reconnaître en colportant du patrimoine. On peut dorénavant entendre un courant rétro de la musique électronique, rejouant les innovations sonores des années soixante et soixante-dix dans le sens d’une imagerie sonore de l’ordre de la science-fiction désuète, ou d’orchestrations faussement avant-gardistes de la chanson de l’époque, prenant soudain de nets accents rétro très appréciés par certains publics. L’électronique n’intervient plus alors en tant que principe dynamique mais en temps qu’imagerie sonore. Le principe dynamique se développe alors éventuellement dans le rapport au phénomène de l’imagerie, mais plus de l’électronique elle-même. L’un des récents avatars de ce phénomène d’intégration de la musique électronique dans le corpus musical général s’est incarné dans une systématisation du "défaut", de l’erreur, dans une mise en scène de l’inattendu. On a ainsi pu entendre, dans tout une vague du courant Electronica notamment, des sons provenant d’exagérations d’approximations technologiques : souffles de bandes magnétiques, bruits de quantisation de convertisseurs numériques, craquements amplifiés de vinyles, etc. Les constructeurs de machines destinées à la création de musique électronique intègrent dans leurs produits des fonctions chargées de produire des "accidents" à différents stades du travail de création musicale. Une fois le nouveau champ formel reconnu par un groupe socio-culturel donné les innovations sont intégrées dans une systématisation. Il en est ainsi du culte du défaut, de l’erreur, du hasard.

. Parallèlement à toutes ces tentatives de dénomination et d’identification de phénomènes esthétiques, auxquelles participe cet énoncé de "musique électronique", se développent des pratiques musicales et sonores qui font abondamment appel à l’électronique, mais d’une façon moins directe, moins explicite. Les techniques électroniques y sont prises en compte dans la formulation de projets artistiques. L’électronique elle-même rentre dans la pensée du projet. Le cas de la musique expérimentale est assez emblématique à cet égard. Cette approche musicale se comporte avec l’électronique comme avec bien d’autres phénomènes, intégrant dans la musique des choses qui n’ont pas été conçues comme telles et qui n’avaient rien à y faire a priori, des choses non-musicales. Les musiques expérimentales ont, en bien des circonstances, développé des approches obliques de phénomènes qui ne leur étaient pas destinés, posant des questions là où semblaient s’être imposées des évidences inamovibles. Plus qu’une inconscience et une naïveté, c’est une conscience et un mouvement délibéré vers le bizarre (en terme de style) ou vers l’inconnu (en terme de problématique), qui amène les artistes évoluant dans ce champ de la création a accueillir, voire à aller à la rencontre de ces artefacts bannis d’autres sphères musicales. Dans ce cas l’électronique n’apparaît plus de façon flagrante, comme imagerie d’elle-même. Elle intervient plus en profondeur, comme un des éléments de redéfinition de l’art.

. Et petit-à-petit, c’est la délimitation entre art et technologie en elle-même qui se révèle être remise en cause. Nous devons l’invention du premier procédé d’enregistrement à un homme qui en plus d’un inventeur était aussi un poète, dont l’œuvre littéraire influença les surréalistes par exemple. Quelles utopies, quels imaginaires ont conduit Charles Cros à faire ressurgir des sons d’une mécanique ? Dans la « révolte des machines » l’être humain n’entend finalement peut-être pas autre chose qu’une part de lui-même, un recoin de son propre projet.

l'amplificateur(Edit)

L'amplificateur, ce dispositif technique, est ici abordé comme symbole du point de rencontre entre individu et système.

principe général(Edit)

Le principe de l'amplification consiste à produire à partir d'un objet relativement petit, voire minuscule, une transposition de cet objet qui en soit un agrandissement rigoureusement proportionné.

Un amplificateur peut être décrit comme un dispositif qui régule un flux fort de façon proportionnelle à un flux faible. Par exemple en électronique, où l'exemple le plus basique d'amplificateur est un composant que l'on nomme transistor, un courant qui peut être de très faible puissance peut agir de façon proportionnelle sur un courant de puissance importante.

. Un robinet régulant un flux. Le travail musculaire que j'accomplis lorsque j'ouvre un robinet d'eau courante ou de tout autre fluide domestique, n'a pas grand-chose à voir avec ce qu'il me faudrait produire comme travail pour obtenir le même flux sans qu'il n'y ait un dispositif en place qui effectue lui aussi un travail. Ce travail que j'accomplis est un travail quasi-nul, un travail de commande, du « presse-bouton ». Ce n'est pas moi qui pompe l'eau qui sort du robinet. Ce travail a déjà été accompli par un système de distribution de l'eau, notamment, mais pas que, une pompe qui stocke une grosse quantité d'eau dans un réservoir.

Puissance lisse et propre

Une amplification fidèle d'un signal implique que le flux de puissance soit régulé de la façon la plus proportionnelle possible aux variations du signal de commande. Cela implique en premier lieu que le flux de puissance lui-même soit de la plus grande régularité possible pour être disponible de façon la plus linéaire possible, qu'il n'y ait ni à-coups, ni aucune autre variation intempestive dans ce flux. Ainsi, en reprenant l'image de l'amplificateur de signal audio on voit des composants du circuit de puissance de celui-ci qui ont pour rôle de lisser au maximum l'énergie électrique, d'en gommer au maximum les irrégularités.

circuit puissance: le système(Edit)

Un système social c'est une mise en collaboration et en cohérence d'un très grand nombre d'individus.

Deux mouvements apparemment antagonistes: division et synchronisation des tâches

Dans un système le travail effectué par chaque intervenant est un travail le plus simplifié et le plus élémentarisé possible.

Mais une fois le travail divisé en tâches les plus simplifiées possible il est nécessaire de relier ces tâches entre-elles et de les faire concourir ensemble à un but commun.

Division des tâches, simplification, élémentarité, spécialisation

impersonnalité, pour suppression du bruit

Les éléments constituant le système doivent être fluides, interchangeables.

l'écran

Un instrument fantastique pour obtenir une fluidité, une disponibilité et une souplesse de la puissance est l'écran, c'est-à-dire l'image. L'écran c'est une surface standardisée sur laquelle apparaît une image. Dans notre monde contemporain une bonne part des surfaces que nous voyons ont été organisées comme écrans. L'environnement doit pouvoir être soumis aux impératifs de production. Construire, par exemple, des infrastructures de transport de produits, personnes, marchandises, énergies, nécessite de construire en dur d'impressionnants dispositifs dans le paysage: autoroutes, lignes électriques à haute tension, aéroports. Le paysage en est souvent radicalement transformé, perdant son apparence sauvage, et est alors ressenti comme laid ou, plus exactement, plat, morne, perdant de son caractère et de sa diversité, uniformisé qu'il est par les mêmes techniques d'implantation des mêmes technologies partout. Afin de ne pas se trouver en train de regarder partout le sentiment esthétique est centralisé sur un champ de la perception réduite à sa plus simple expression. Ce champ est un écran. L'écran est une surface extrêmement réduite si on la compare avec la totalité de la surface terrestre. Mais en proportion cette minuscule surface concentre actuellement la majorité de l'attention des êtres humains.

les organes dehors, la peau dedans

Une zone commerciale en périphérie d'une ville. On y accède par des bretelles routières à circulation rapide. On gare son véhicule sur de vastes surfaces planes, parfois superposées les unes au-dessus des autres. A l'extérieur de bâtiment aux structures et aux revêtements métalliques on peut voir divers tuyaux de diverses grosseurs parcourus de fluides liquides, gazeux, d'énergies, de flux d'informations. C'est lorsque l'on rentre à l'intérieur des bâtiments que l'on peut enfin en voir la peau, lisse, soyeuse, douce, colorée, maquillée: les vitrines, les devantures des boutiques. Ce sont des surfaces-écran qui dressent devant nous un monde irréel.

potentiel régressif du cinéma

Le cinéma se fait (se crée et se voit) sur une terre plate, et non sur une terre ronde. En mettant en évidence le fait que nous sommes les habitants d'une sphère dans le cosmos l'exploration spatiale nous a retiré notre rapport à la surface terrestre. Du coup le cinéma devient notre lien, fût-t-il nostalgique, à ce rapport exclusif que nous avions à la surface de la terre au moment où celle-ci apparaissait comme un absolu.

poétique de la vitre

L'image est un phénomène d'illusion de réalité apparaissant par distanciation entre le sujet percevant et le réel immédiat. Pour qu'une image puisse naître il faut et il suffit que le réel immédiat ne soit plus en contact totalement direct avec le sujet percevant.

ce qui peut introduire cette distance:

—filtres culturels: notamment dans le cas de la colonisation. Les explorateurs ont perçu les régions dans lesquelles ils mettaient le pied comme des images, et cela du fait qu'ils ont contrôlé leur rapport au milieu.

—conditions de vie importées: un anorak en matière synthétique peut mettre un visiteur du Pôle Nord en situation de contact non pas avec la région dans laquelle il se trouve mais avec une image de cette situation. Il est en réalité dans un système qui produit les équipements ultra-performants qu'il porte et qui lui permettent de vivre dans un environnement dans lequel il ne se serait pas rendu s'il n'avait pas disposé de ce que divers systèmes ont produit pour l'équiper. En effet ce visiteur est en situation de contrôle du contact qu'il a avec la région géographique dans laquelle il se trouve.

—vitre: fenêtres par lesquelles on contemple la tempête pendant qu'on est au chaud. Pare-brise à travers lequel on voit le paysage défiler

—différé temporel

—tourisme, ou tout autre phénomène de passage momentané dans une situation. Phénomènes dans lesquels l'individu n'est pas en situation de responsabilité par rapport à la situation dans laquelle il passe.

Les systèmes reposent sur des techniques qui reposent elles-mêmes sur des pratiques d'étude de la réalité, sciences notamment. Ils gardent constamment un crédit sur ce plan, en tant que dépositaires des sciences. Les sciences sont le prolongement des oracles, au sens où elles remplissent les mêmes offices: elles prédisent les avenirs. Par exemple elles peuvent prédire l'avenir de la chute d'un corps.

miracles

Dans les systèmes les forces paraissent démultipliées en comparaison de la force individuelle de chacun des humains, ou même de la force additionnelle d'un village d'humains. La puissance des ordinateurs double d'une année sur l'autre.

Technologies est superstitions: le phénomène des technologies appliquées comme formule miracle. Les formules miracles on toujours reposé sur des réminiscences chez l'adulte de comportements enfantins, au sens où les miracles semblent agir comme la toute-puissance des parents vis-à-vis de l'enfant. Un miracle est opaque. On ne peut pas rentrer dans son fonctionnement.

le confort

Fontaine: Plus besoin d'aller chercher une eau glacée au puits ou d'aller la pomper à la fontaine. Elle sort à température et débit désiré de petites embouchures installées dans plusieurs des pièces des locaux de travail et d'habitation lorsqu'on tourne des boutons ou qu'on actionne de petits leviers chromés.

Printemps: Plus besoin de couper et ramasser du bois, de le tailler en bûchettes pour nourrir une cheminée produisant autant de fumée que de chaleur. Des volumes rectilignes disposés le long des murs amènent à température printanière les salles dans lesquelles nous vivons et travaillons en hiver. Et c'est également une douce fraîcheur printanière qui protège ces mêmes lieux de la canicule en été.

Clarté: une lumière égale se diffuse dans toute la pièce, prolongeant la clarté du jour à toutes heures de la nuit et en tout lieu, aussi bien sous terre qu'à la surface.

Propreté: Plus de miasmes, de nids d'infection, de vieilleries qui encombrent et brouillent l'espace

Système d'égout, chauffage central, réseau d'électricité, d'eau, de télécommunications.

vertiges

Fascination et/ou horreur

Les systèmes se manifestent sous forme d'entités géantes: structures architecturales géantes, chiffres astronomiques,

vertige devant les infos

circuit commande: l'individu(Edit)

amplification politique

Nous sommes tentés de nous soumettre au système qui nous procure cet effet d'amplificateur. Le système de l'amplificateur est une promesse de puissance individuelle. Mais en même temps il demande à chacun une contribution qui rogne sur sa liberté.

Le monde comme jeu

Le monde n'est pas réel. Le monde est un jeu. L'être humain n'est pas en mesure de considérer sérieusement le monde. Toute considération sérieuse du monde par l'être humain est un abus de sérieux. Le monde est un jeu. Le monde ne peut être que joué. Il est un théâtre. Les nouvelles du monde sont comprises par l'être humain comme un jeu, une pièce de théâtre. Toute action à échelle mondiale est une action jouée. Il n'est pas d'action sérieuse à cette échelle.

une personne amplifiée

Quelqu'un qui se trouve à un croisement de potentiel et qui recueille une convergence de potentiels qui s'additionnent ou se multiplient se trouve en position d'être un surhomme, un dieu.

. Imaginons ceci: une personne que l'on compare à une diapositive est traversée par un puissant faisceau lumineux. Les rayons de lumière sont projetés jusqu'à une surface plane qui les arrêtent et fait apparaître une image surdimensionnée de cette personne.

. L'organisation contemporaine du travail aboutit à des ensembles productifs de très grande importance (ex: combinaison de bureaux d'études, de laboratoires, de plusieurs usines, filiales). Le potentiel productif est colossal. Est susceptible de se produire une chose comparable à l'eefet-cagnotte. Dans l'effet-cagnotte on a une grande concentration d'argent correspondant à une grande quantité de mises de faible valeur qui convergent vers un tout petit nombre de personnes qui sont les gagnants. La structure d'échelle aboutit à un effet de grossissement spectaculaire.

Personnages mythiques(Edit)

La star

La star est une illusion de personne. Tout le monde regarde la star mais ce n'est pas une personne réelle. Pourtant elle est une représentation de la possibilité d'être une personne quand les autres se sentent « comme des numéros dans un système » (selon la formule consacrée), comme des éléments impersonnels. Elle semble être celle qui échappe au système alors qu'elle en est un pur produit et un agent. Son image est véhiculée et diffusée en très grand nombre par une entité qui est le système des médias. Son image est mise au point par des expert au fait des sondages d'opinion ainsi que des sciences cognitives.

—-

La star ne peut exister en tant que star que parce qu'au lieu d'apparaître pour ce qu'elle est, c'est-à-dire le produit d'un système, elle apparaît comme étant une personne, comme étant réellement la personne qui apparaît médiatiquement.

Le héros industriel

Il existe la fable de la personne qui se fabrique par elle-même sa place de reconnaissance par la société, cette personne qui se serait fabriquée socialement par elle-même, qui serait parvenue là où elle est dans la hiérarchie sociale uniquement par son propre travail, son propre mérite, sa propre valeur. C'est une image mythique mais qui ne correspond pas exactement à la réalité. Les individus qui se trouvent à ces places se révèlent souvent être à l'intersection entre plusieurs courants favorables.

l'artisan

L'artisan est dans une situation dans laquelle il configure lui-même son travail. Il est dans une position bien plus libre que l'employé, une position relativement prestigieuse.

De nos jours une des situations où l'on retrouve le plus nettement l'artisanat est l'art, ou plutôt les arts en général (peinture, cinéma, théâtre, danse, littérature, musiques, BD). L'activité artistique est méta-industrielle, extra-industrielle, ou encore pré-industrielle. Elle pourrait être l'activité qui rétablit le contact entre les êtres humains et leurs œuvres. Mais de par son extrême spécificité dans la société elle est plutôt une exception qui ne remet pas en cause la règle qui est que dans les systèmes les individus sont des pièces de systèmes.

le révolté

On l'aura compris, difficile d'exister en tant que personne dans un système car un système en lui-même ne prend pas les personnes en considération. Il ne prend en compte que l'aspect standard des individus, fût-ce même en adaptant sons système en établissant une certaine variété de standards.

. Dès lors il existe une tentation chez une partie de la population qui est la tentation de la révolte. Cette tentation apparaît chez des personnes qui estiment ne pas être à la place à laquelle elles devraient se trouver dans la société. Ce décalage implique que ces personnes aient une conscience d'une autre situation que celle qu'elles occupent. Cela implique généralement qu'elles soient relativement éduquées.

. Un exemple emblématique de ce genre de posture sociale est celui des anarchistes contemporains et des activistes se réclamant notamment de l'extrême-gauche, plus largement, des gens qui opèrent une remise en cause structurée du pouvoir en place et du système, généralement via une activité d'activisme militant. Bien que ce type d'activité puisse avoir le mérite d'un défoulement salutaire à titre individuel, d'un exutoire, il est vain de sur-évaluer ses capacités à faire advenir un « monde meilleur », quels que soient les slogans véhiculés.

. Le révolté hérite beaucoup du romantique du 19e siècle. Pour ainsi dire, étant né un siècle et-demi plus tôt dans les classes aisées de la population il en aurait vraisemblablement été un. Mais à cette époque le divorce entre individu et système n'était pas encore si manifeste qu'il l'est aujourd'hui.

Les tout-puissants

Le monde est représenté comme une planète qui semble être une unité humaine. Dès lors il est tentant de lui attribuer une intention globale. Nous sentons bien que le monde nous échappe mais nous pensons qu'il doit bien y avoir des gens qui le dirigent. Nous imaginons quelque chose qui est dans le prolongement de notre situation d'enfance où les adultes nous paraissaient maîtriser des choses qui nous échappaient et où notre point essentiel d'action sur la réalité se situait dans une tentative de négocier avec les êtres supérieurs qu'étaient pour nous nos parents. Nous projetons sur le monde quelque chose qui ne serait envisageable qu'à l'échelle d'une famille ou d'un village (voir ci-après). Mais pour parvenir à envisager quelque chose d'impossible il nous faut envisager l'existence d'êtres supérieurs qui gouvernent la planète. C'est ainsi que le film Zeitgheist mentionne un complot de banquiers qui se seraient arrangés pour devenir les maîtres sur terre. Même s'il est tout-à-fait concevable que telle ou telle personne se trouve, par le jeu des systèmes en échelle, en possession d'une richesse et/ou d'une puissance considérable envisager une sur humanité et un contrôle total de la terre par cette personne nous fait clairement sortir du champ de la réalité. Simplement si ce n'est pas lui/elle ce serait un/une autre.

Le système

Mais qui est donc le système? Se pourrait-il que ce soit personne? A qui profite le crime?

Une personnalité contemporaine(Edit)

l'employé

—dans l'industrie, technologique, financière, commerciale, l'être humain est dépossédé de son travail, au sens où celui-ci ne débouche plus sur une œuvre. Le système dissout l'œuvre. L'employé n'a pas l'initiative de ses gestes. Ceux-ci sont calibrés par des spécialistes de la rationalisation du travail. Il lui est même extrêmement difficile de discerner la finalité de ceux-ci, et même de discerner les réalisation auxquelles elles concourent. L'employé se trouve, pour ainsi dire, dans un tunnel obscur, astreint à exécuter des actions dont il ne connaît que très vaguement la finalité et à laquelle il ne participe pas activement.

Les compensations qui sont prodiguées à l'employé sont de l'ordre de la suppression des aspérités. Il en est ainsi à propos du confort. Le confort c'est ce qui annule les aspérités de la vie: annulation des températures excessives,

Les loisirs de l'employé fonctionnent sur le mode de la projection sur écran. La réalité dans laquelle il vit doit avoir une caractéristique essentielle qui est la planéité et l'uniformité, la standardisation. Elle doit être un écran standard afin qu'il soit possible d'y projeter tous les films qui puissent exister. Le tourisme fonctionne également sur le mode de l'écran.

L'employé est un allocataire. Il touche un revenu par convention. Sa réelle activité se développe dans le tissus de liens sociaux (associatif,

le bricoleur

Le bricoleur c'est celui qui détourne des fragments de système pour leur trouver une utilisation dans une situation concrète. Mais il ne réinjecte pas ces fragments dans un autre système. Le bricoleur ne bâtit pas une réflexion sur ce qu'il fait; il ne développe pas de vision globale, ne resituat pas son action dans un ensemble. Il agit au coup-par-coup. Son esprit est simplement pratique. Ce n'est pas un esprit technique. Il ne bâtit pas un système de relations entre les choses. Il en planifie pas ses actes.

créole

la première téléportation de l'histoire

Se trouvant catapultés en divers points du globe loin de leurs terres natales des noirs originaires d'Afrique subsaharienne ont, pour conserver leur identité, accompli un tour de force qui peut faire penser à ce que serait une téléportation. Ne pouvant imiter le monde duquel ils venaient ils ont transfiguré une portion du monde étranger dans lequel ils s'étaient soudainement trouvés. Ce phénomène fait penser à la téléportation, au sens où un esprit propre à une culture arrive à reprendre pied dans une situation qui lui est inédite en intégrant les mutations que demande une nouvelle habitation. Autrement dit un esprit arraché à sa matière, perdant toute attache matérielle, se reconstitue une existence dans une situation matérielle inédite.

. Le dehors est créole. Au périphéries des architectures-système existent des espaces inhabités de la civilisation occidentale, des espaces doublement sauvages: ils ne sont plus vierges de la civilisation, et par conséquent ne peuvent plus être perçus comme naturels, et ils ne sont pas inclus dans la projection que la civilisation se fait d'elle-même. Parmi ces zones doublement sauvages on trouve les périphéries lointaines de villes, les friches industrielles, les zones de convergence d'axes routiers et autres transports, les zones de convergences de divers réseaux énergétiques et de fluides.

le hacker

Le hacker fonde un système à son échelle personnelle.

—Un des aspects du hacking est l'apprentissage autonome. Le hacker apprend non pas en se plaçant dans un parcours d'instruction (école, formation) mais en se confrontant directement au fonctionnement de systèmes. Il construit lui-même son parcours de développement de ses connaissances. Il croise, coupe et re-coupe les parcours conventionnels d'apprentissage. Il rentre à partir de son propre cycle dans le cycle général de diffusion d'une connaissance et y récupère une information qu'il re-contextualise dans son cycle personnel de connaissances. Son cycle de connaissance étant indépendant de celui des connaissances générales on assiste à des intersections, du moins tant que ces deux cycles ne fusionnent pas. Ce qui est intéressant ici c'est comment un individu qui n'est pas accrédité par un système de connaissance arrive néanmoins à développer ses propres connaissances.

. Le hacker apparaît essentiellement dans un type de situation assez précise. Ce terme est en vogue depuis que l'informatique s'est diffusée dans les foyers, dans les contextes de la vie privée, ce qui est loin d'être anodin. Il est difficile d'imaginer une vogue des hackers dans les années 50 alors que les ordinateurs existent à portion congrue dans des contextes extrêmement spécifiques. Mais dès lors que le tout-venant peut faire rentrer un ordinateur chez lui un nombre sociologiquement significatif de personnes ayant la fibre technique vont se mettre à essayer à essayer de se débrouiller de façon autonome dans une interaction avec des personal computers: retoucher légèrement du code pour l'adapter à une nouvelle imprimante, etc. Il est à noter que ce faisant ces praticiens autonomes de l'informatique reconstituent par eux-mêmes un corpus de connaissances rationnelles, étant donné que le rationalisme est induit par le systèmes informatique lui-même.

Développement personnel dans des systèmes complexes

—l'apprentissage est un moment de dépersonnalisation. Car l'apprentissage immerge l'individu dans un circuit qu'il n'a pas lui-même défini. Peut-il exister un apprentissage qui puisse être en même temps un processus de personnalisation. L'auto-didactisme serait ce mode d'apprentissage dans lequel la personne s'affirme comme étant en train d'apprendre. L'instruction à intégrer et qui avant l'apprentissage est étrangère à l'individu est en même temps pour lui une occasion de se mesurer à quelque chose qui n'est pas lui. Il ne peut y avoir d'affirmation ex-nihilo de la personnalité. La personnalité se définit toujours de façon relative, en relation avec des oppositions à cette personnalité.

l'informatique comme langue vivante

—être propulsé dans un flux d'expression. Traiter les problèmes que l'on rencontre dans sa propre activité. Le degré de travail va de pair avec les avancées. Il s'agit de se former sa propre langue, bien que la base de cette langue personnelle soit commune. On apprand une langue vivante en la parlant, et même, plus exactement, en la pratiquant. Il s'agit bien de pratiquer la langue, notamment d'ne pratiquer les enjeux. Une langue n'est pas simplement une grammaire. Une langue c'est une situation.

Le flâneur

point de contact entre deux circuits(Edit)

Chacun son truc

Lorsqu'il suit sa spontanéité un être humain se révèle inadapté aux systèmes, au sens où il envisage des actions qui, lorsqu'elles sont effectivement accomplies, donnent des résultats qui vont radicalement à l'encontre de ce qui était escompté. Par exemple, un automobiliste dont la voiture a surchauffé dans un embouteillage et qui veut refroidir son moteur en aspergeant celui-ci d'une bonne quantité d'eau fraîche, ce qu'un technicien automobile ou un spécialiste des matériaux verra tout de suite comme une excellente façon de fissurer le bloc-cylindre, rendant le moteur radicalement hors d'usage. Cet automobiliste peut très bien être par ailleurs un excellent spécialiste en un autre domaine (comptabilité, webmastering, droit des affaires, etc.) il se révèlera d'une incompétence risible pour des personnes compétentes en ce qui concerne les moteurs et/ou les phénomènes de résistance des matériaux, ce qui serait le cas d'à-peu-près chacun d'entre-nous en pareille situation. On a également tous à l'esprit ces mesures prises à échelle nationale, voire mondiale et qui on eu l'effet inverse de celui escompté. Une action qui serait hautement pertinente à l'échelle d'un village, ne l'est plus à l'échelle d'une société telle que l'occident contemporain, enchevêtrement coordonné et synchronisé de systèmes: des systèmes de systèmes!

. Développer notre culture des systèmes c'est en partie élargir notre connaissance y compris des systèmes dont nous ne sommes pas spécialistes mais c'est aussi prendre en compte que les êtres humains que nous sommes ne sont pas en position de maîtrise par rapport aux systèmes, qu'ils sont même en position de fragilité et de vulnérabilité. C'est l'aspect de bienveillance à l'égard des autres que pourrait inclure cette culture.

le phénomène de la morale

Dans bien des cas les postulats de moralité se révèlent nécessiter d'une adaptation autant nécessaire qu'inattendue pour pouvoir prendre pied dans un système. La morale par exemple est un outil de régulation sociale relativement efficace pour des individus vivant dans un village mais elle perd de son sens pour des individus vivant dans un système.

. Il existe par exemple des couples catholiques qui refusent d'utiliser des moyens techniques de la contraception, leur préférant l'abstinence sexuelle. A y regarder à deux fois on en vient pourtant à penser que l'abstinence sexuelle est déjà elle-même une technique de contraception. Car elle passe par un savoir qui est celui qui s'applique à la procréation. L'abstinence est une démarche consciente, plus, un aménagement, une technique pour éviter la procréation. Ici c'est le simple fait de savoir qui nous fait basculer dans un espace radicalement polarisé: toute personne qui est dans la connaissance et qui n'accepte pas la profusion d'enfants pratique la contraception.

Dans le même temps, en deux siècles, et grâce notamment aux techniques médicales l'idée de mort d'un enfant est passée de la fatalité à l'inacceptable, réduisant quasiment à zéro la mortalité infantile qui, avant la diffusion des techniques d'hygiène et de médecine, était très importante. La pression s'est accrue sur la présence de chaque enfant. Du coup il est devenu quasiment impossible de faire des bébés en toute innocence. La procréation est devenue un acte extrêmement policé. De plus chaque enfant est maintenant, du fait du développement du niveau de vie, entouré de tout un complexe de confort matériel jusqu'à ce qu'il se trouve dans une situation d'autonomie dans laquelle il puisse lui-même assurer ce confort.

. Dans le monde occidental chaque être humain se trouve individuellement pris entre le marteau et l'enclume, un marteau moral et une enclume sociale. D'un côté il est sensé ne pas faire appel à la contraception tandis que de l'autre il ne peut pas assurer à la profusion d'enfants qu'il est sensé mettre au monde une vie décente.

Dans le débat sur l'avortement (« pour » ou « contre » l'avortement) il n'est habituellement pas fait mention d'une approche épistémologique de cette question. L'une des difficultés du débat réside dans le fait que la question est posée exclusivement à l'échelle des individus, notamment dans la question de savoir à partir de quand un embryon humain est une personne. C'est là une tentative de ramener à une échelle réduite une question qui résulte de phénomènes à très grande échelle, à l'échelle d'une société. L'idée serait que l'on pourrait trouver, en tant qu'individu, une position juste dans l'absolu, à l'échelle de l'être moral qu'est l'individu.

Pourtant la question de l'avortement ne peut trouver que des réponses temporaires dans un système qui, lui, est global. La question de l'avortement apparaît dans un complexe de données et dans un système d'intéractions dynamiques entre ces données.

Je diviserais ces données en deux groupes, l'un concernant la mutation de notre conception de l'individu dans les deux siècles qui ont précédé notre époque, l'autre concernant le passage d'un état de nature à une idée de nature.

Un autre phénomène dans le cas de l'éducation: envisager une éducation libre dans un système de contrainte comme l'est notre société est un non-sens, ou une inversion de sens. Un enfant auquel on donne la latitude d'action d'un adulte s'y trouve projeté en situation d'adulte à avoir à assumer des responsabilités d'adulte: on lui demande alors bien plus qu'on ne lui donne.

—délinquance: actes au visage d'incohérence (ex: tags, casse, )

Actions minuscules, effets énormes

Il nous est donné de travailler sur des objets minuscules qui peuvent se trouver amplifiés et prendre des proportions quasi-mondiales.

bingo

l'effet bingo

La force récoltée est liée directement au nombre de contributions

l'effet entonnoir

Un très grand nombre de contributions obscures qui se concentrent en un point

La force n'est plus ma force. Je suis aux commandes d'un véhicule automobile. Par un petit mouvement de mon pied droit je commande le débit d'un gaz qui, par sa force d'explosion, appuie de façon formidablement puissante sur des pistons dans des chambres de compression. De par le dispositif d'assistance de direction une pompe hydraulique fait à ma place l'effort d'orienter les roues avant du véhicule suivant les commandes que je donne en tournant sans effort le volant de direction.

. Des images géantes et lumineuses se succèdent sur un écran. Vous, vous faites des photographies: vous cadrez dans un viseur puis vous pressez sur un bouton. Vous faites développer sous forme de diapositive une pellicule que vous avez extraite de l'appareil. Un tout petit carré de couleurs transparentes est traversé d'un puissant faisceau lumineux qui, passant dans une succession de lentilles termine sa course projeté sur une surface plane et blanche. Une image miniature se retrouve en une image géante.

. Un puissant faisceau lumineux traverse une toute petite fenêtre transparente en rhodoïd imprimée de divers produits colorés pour venir illuminer un large écran de toile blanche tandis que dans le même temps un puissant champ électrique est sculpté proportionnellement à des variations infinitésimales de champs magnétiques dans de microscopiques particules amalgamées dans une bande magnétique défilant sur une tête de lecture et concourant en bout de chaîne à faire vibrer d'énormes membranes des haut-parleurs du système de sonorisation. La projection sonore et lumineuse envahit tout le champ d'attention des spectateurs.

. Sur l'écran d'un ordinateur portable j'inspecte un sonogramme, une représentation graphique d'un fragment d'un enregistrement sonore. J'augmente la résolution d'affichage, m'intéressant à un fragment de seconde de l'ensemble de l'enregistrement, ce fragment de seconde où se trouve une irrégularité violente dans le flux sonore. Au vu de la forme de la courbe j'isole cette irrégularité et je la supprime en la gommant à l'aide d'un outil du logiciel prévu à cet effet. Je sauvegarde l'ensemble de l'enregistrement dorénavant débarrassé de ce « défaut ». Il retourne dans un emplacement de stockage sur un tout petit disque dur de poche dans lequel sont stockées des dizaines d'heures de son en attente d'une projection publique, d'une édition sur disque audio ou encore d'une diffusion radio ou sur internet. J'ai aussi sauvegardé à part la cassure dans la courbe, ce qui pris dans l'enregistrement de départ, était un défaut mais qui devient maintenant un son en soi. J'applique sur son extrêmement court un calcul automatisé de ralentissement de vitesse de lecture. Le sonogramme qui figurait comme un vif sautillement fait maintenant apparaître un profil de relief émoussé.

. En transformant quelque chose de minuscule en la même chose en énorme l'amplification tord le rapport d'échelle, nous mettant au même niveau que ce qui est amplifié. En rapetissant les humains l'amplification leur procure un terrain de jeu. Nous sommes sans doute nombreux à avoir rêvé étant enfant de se trouver rapetissé à l'échelle de son train électrique pour piloter une locomotive, ou se promener dans un château de poupée.

Le flingue

Un révolver, un pistolet automatique. Par une pression sur la gâchette on déclenche la projection d'un projectile qui peut avoir l'effet immédiat de tuer une personne sur qui on le dirige. Il est extrêmement difficile pour un être humain de tuer un de ses semblables à mains nues. Le corps humain est très solide. Même en s'aidant d'un objet contondant ou d'une arme blanche il est souvent nécessaire de frapper plusieurs fois. Et la victime ne meurt généralement pas tout de suite mais met quelques instants à agoniser, à s'éteindre progressivement. En comparaison un flingue agit comme comme une télécommande: il éteint quelqu'un comme on éteint un programme télévisé. On appuie sur un bouton

. Le flingue est très populaire sous forme d'image. On le voit ainsi apparaître sur des pochettes de disque de musique pop, sur des affiches de cinéma, sur divers supports de publicité ou de communication. Ce n'est pas une mitrailleuse, ni un canon, ni un lanceur de têtes nucléaire qui apparaît ainsi, ni tout autre type d'arme. Car ici nous sommes à l'échelle du registre des représentations courantes de nous-mêmes dans notre quotidien. Le flingue c'est la relation violente de personne à personne. C'est la relation familiale, voire villageoise. C'est l'arme des familles, du village, du quartier. C'est l'arme de gens qui se connaissent. Le flingue, contrairement au silo atomique, est une arme relationnelle.

. Le flingue apparaît comme la solution miracle, du moins momentanément. Au moment de la pression sur la gâchette tout est évacué: tortures des remords, entreprise de dissimulation du crime. Il est symbole de toute puissance, apparente garantie de supériorité de soi sur l'autre. Il est question d'obtenir quelque chose, la mort de l'autre, sans délai. Le flingue répond à l'impatience.

. Un paradoxe: Le flingue, ce canon que l'on tient dans sa main, est à la fois imaginé comme l'attribut par excellence de l'être indépendant alors qu'il est le produit d'un système de production relativement complexe: mines, fonderies, bureaux d'études, ingénierie, usines, machines-outils, investissements, etc.

Guerre: des techniques aux systèmes

La culture de guerre a eu un temps de retard par rapport à l'assimilation de l'avènement de l'ère des systèmes, et n'a d'ailleurs toujours pas comblé son retard. Dans son film « as you see », Harun Farocki revient, entre autres choses, sur l'avènement de la mitrailleuse et le fait que celle-ci, lors des conflits de la fin du XIXe siècle, guerre de sécession notamment, n'avait pas été prise en compte à sa juste mesure, à savoir comme machine à tuer en série.

. Au tout début de la première guerre mondiale les soldats des troupes françaises portaient un uniforme inadapté à ce qui s'est rapidement révélé être un conflit industrialisé: une veste bleu sombre, mais avec un pantalon d'un rouge vif. Cet uniforme a dû être rapidement remplacé par un autre beaucoup moins voyant qui permette aux soldats de se faire moins facilement remarquer dans le paysage, et par conséquent d'être des cibles un peu moins faciles pour les tirs ennemis. Ainsi, les costumes démonstratifs, derniers liens sur le plan visuel avec le référent à la chevalerie, se trouvaient exclu du champ de bataille. Le premier conflit mondial est une guerre industrialisée menée avec, sur le plan culturel, dans la tête de ses acteurs, des référents issus des guerres de parade. Les personnes prenant une part active dans des conflits ont depuis très longtemps appliqué et développé des techniques. Mais à la charnière entre le 19e et le 20e siècle on est passé de guerres d'artisans à des guerres d'industriels.

poétique des systèmes(Edit)

Super-musique(Edit)

Abordons, en guise d'entraînement à cette forme particulière de poétique l'exemple de la musique. Suite à l'avènement des médias de masse diffusant la musique à l'aide de systèmes c'est la diffusion en elle-même de la musique qui est devenue système, au point qu'on peut à présent parler de « super-musique ».

Il y a la musique et il y a la super-musique. La super-musique n’a pas grand-chose à voir avec la musique superbe. Il existe de la super-musique comme il existe, en architecture ou dans tout autre domaine structuré, des super-structures. La super-musique est à la musique ce que toute super-structure est à ses infra-structures. On peut considérer la musique comme constituée de deux éléments: répétition et variation. La répétition, en super-musique provient actuellement de son mode même de diffusion. On a toujours cherché, que ce soit par la notation, l’enregistrement ou la transmission orale, en tout cas par un système de transmission, à assurer une permanence à une pièce musicale. Il nous a toujours été nécessaire de répéter cette chose qui avait déjà existé, et de la répéter encore et encore, jusqu’à ce que la répétition devienne un flux. En fait, dans la super-musique ce que l’auditeur identifie c’est plus une succession d’apparitions que de la répétition. La variation quand à elle réside dans le fait que l’on va périodiquement mettre sur les porteuses de transmission, les médias, de nouvelles pièces musicales. Mais ces nouvelles interventions font encore partie de la même super-pièce musicale, puisqu’en elles demeurent une majorité d’éléments déjà présents dans les pièces précédentes: on change avant de se lasser.

. Il n’y a pas de raison intrinsèque à un morceau de musique pour qu’il soit accepté. La seule possibilité qu’il a de se faire accepter c’est d’être répété. Il se justifie par la répétition, comme en lui-même les éléments qui le constituent se justifient par la répétition.

. Etant immergés dans le bain médiatique, tout autant que des morceaux de musique, nous entendons un seul super-morceau qui est constitué de plein de nouveautés musicales qui doivent à la fois varier des morceaux précédents et leur ressembler. Un morceau de musique isolé ne trouverait pas sa place dans le super-morceau et ne serait pas accepté par nos oreilles. Chaque morceau de musique peut être considéré comme une note du super-morceau.

une musique faite par personne

La super-musique n’a pas d’auteur. On ne trouve pas de convergence de plusieurs auteurs en un super-auteur. Parce que la notion d’auteur sollicite de trop près celle d’individu. Une société, ou un groupe humain, n’est pas un super-individu. Sa structure ne correspond pas à celle des unités que sont les individus. Tout au plus correspond-elle à l’idée que l’on se fait de ce qu’est un individu. Par exemple dans une société à économie de marché le compositeur de la super-musique commerciale est le marché lui-même.

La musique dite savante se reconnaît à son taux de variations qui est plus important que dans la musique dite vulgaire.

l'art comme modèle réduit(Edit)

Échapper aux systèmes et revenir au village par le miniature

Un pouvoir-jouet

On peut comprendre l'art comme un mode de pouvoir miniature. L'artiste est un homme de pouvoir factice, un petit roi dont le royaume est minuscule, d'une taille insignifiante pour ainsi dire. Aussi, n'ayant pas de pouvoir sur le monde (pouvoir sur le groupe auquel il appartient) il va déployer sa volonté et ses vues de l'esprit sur une petite parcelle, sur cette portion minime du monde qu'il est en mesure de s'approprier sans avoir à mener des guerres qu'il serait incapable de gagner. Son royaume est comparable à un tapis de jeu.

Les différentes formes de l'art peuvent être comprises comme différentes stratégies pour réaliser (c'est-à-dire mettre à la réalité) des choses sans se confronter frontalement et globalement à la réalité. Il s'agit de se coltiner la réalité, mais indirectement, par découplage, sous forme d'une maquette. Le modèle réduit constitue alors un mode de réalisation qui s'établit sur tous les plans de la réalité de façon proportionnelle, mais à des proportions qui, justement, sont réduites. Dans le cas du modèle réduit toutes les dimensions de développement de l'oeuvre dans la réalité sont développées, mais de façon réduite. Et cela à un degré égal sur chacune de ces dimensions. Le modèle réduit se définit en longueur, hauteur, profondeur et temps. Il prend tous les comportements que son référent projectif a eus, a, ou aura. Le modèle réduit adopte un mode de vraisemblance simple qui consiste en une échelle, une métrique linéaire appliquée à égalité sur tous les axes de mesure de son référent, de son modèle. Le respect de cette loi extrêmement sommaire suffit à en garantir la valeur, c'est-à-dire l'impact, l'attachement que l'on y porte.

. Le modèle réduit totalement proportionnel, linéaire dans tous ses axes de réduction, est en quelque sorte le degré zéro de l'art, précisément de par le fait que tout y est pré-défini quand à son élaboration. Sa création consiste en l'application d'une loi qui n'est plus à reconstruire.

. Les modèles réduits prenant une posture délibérément artistique sont des modèles bizarres, comportant sur un point ou un autre des bizarreries: quel est le modèle? Quelles en sont les réductions?

. Les autres formes d'art sont des modèles réduits dont les échelles ne sont pas les mêmes, pas mêmes symétriques, sur tous les plans d'existence. L'expression picturale, par exemple, néglige, laisse en friche, deux dimensions sur quatre. Elle peut investir la réalité en "grandeur nature", mais pas sur les quatre dimensions: juste largeur et hauteur, le minimum suffisant pour que la perception se trouve confrontée à une surface. Les deux autres, la profondeur et le temps, ne sont pas développées. Elles sont présentes à leur degré minimum pour assurer l'existence du fait pictural. Elles contribuent au développement de cette maquette par une attitude bien particulière qui est la contribution par défaut de deux des axes de développement d'une réalisation. Le fait de mettre entre parenthèses deux dimensions sur quatre permet aux arts picturaux d'établir des réalisations sans avoir à se développer sur tous les plans du réel.

. L'adoption ou non, par la réalisation, d'une posture ou d'un projet illusionniste suffit à faire basculer dans des registres d'existence extrêmement divers des entités qui pourtant au départ investissent les mêmes grilles d'échelle, les mêmes axes de développement dans la réalité. Ce sont deux plans absolument distincts d'impact mental qui sont investis. L'un s'insère directement dans la réalité. L'autre la recouvre, y fait écran pour venir se placer, l'espace de son temps d'apparition, devant elle. Prenons à nouveau le cas des formes picturales. Si l'on comprend la photographie comme une mécanisation, une automatisation, de l'aspect fabrication de la production des images c'est la notion de "fait main" qui apparaît en peinture. Et l'on continue sur la lancée initiée par le système d'automatisation de l'analyse visuelle qui était amorcée par le système de la perspective. Du même coup, en même temps que la matérialité de la peinture se révèle face à la photo, beaucoup plus immatérielle, c'est la dimension exclusivement projective illusionniste de l'art pictural qui apparaît. Tout une part de l'activité, plutôt que de laisser tomber le "fait main" devenu désuet dans le cadre d'une création illusionniste, va alors investir la matérialité même de la peinture. Ceci va s'appeler la "peinture abstraite", picturalité pourtant si fortement concrète comparée à l'abstraction à la réalité matérielle à laquelle nous convie la picturalité illusionniste.

Le rapport au texte: une narration dans une image

Les descriptions contemporaines qui sont faites de tableaux de la renaissance (et ultérieurs) ont ceci de frappant qu'elles adoptent un net accent narratif. Cette tendance met en évidence une situation paradoxale d'une action supposée se développer dans le temps, mais dont tous les aspects sont présents à nos yeux en simultanéité. Ce paradoxe n'existe pas de façon significative dans la photographie, où l'on parle beaucoup plus aisément "d'instantané". On peut remarquer combien des créateurs n'ayant pas à leur disposition de technologies leur permettant de rendre compte, en réduction, de la dimension temps l'injectent dans les deux autres dimensions propres à la picturalité. C'est ainsi qu'une technique de représentation du temps se développe. On retrouve dans cette peinture une bonne partie de ce que le cinéma prendra en charge par la suite. Ici on assiste au phénomène curieux d'une dimension s'exprimant au travers d'une synthèse de deux autres, une dimension qui n'a pas d'existence objective, qui existe de façon nomade, sans résidence précise (de type systématique) dans le tableau. Les éléments narratif, les personnages entre autres, produisent cette existence particulière du temps en exerçant une pression énorme sur leur condition physique bi-dimensionnelle d'éléments picturaux. Car il ne s'agit pas non plus ici de constructions picturales que l'on trouve au moyen-âge, cette écriture illustrée, ce texte à la portée d'une population majoritairement analphabètes, avec ces éléments picturaux "alphabétiques", cette proximité avec l'écrit, tout comme la calligraphie de cette époque, avec ses ornements impressionnants qui défendent presque une existence picturale, fût-ce d'une picturalité abstraite. Mais au moment où la peinture se consacre entièrement à sa dimension proprement picturale, elle perd aussi l'appui de la convention narrative. Et la narration se transforme en un phénomène pictural. Il s'agit alors de dépasser la base de l'imitation rétinienne pour, à défaut de faire évoluer les formes dans le temps sur le tableau lui-même, les faire évoluer au moment où elles arrivent chez celui qui voit et regarde. C'est qu'à cette période de la picturalité la dimension narrative, bien qu'étant mise en œuvre, avec ces tableaux faisant figurer des éléments de l'histoire religieuse par exemple, existe plus comme opérateur que comme point d'arrêt. Le créations picturales se servent de la narration plus qu'elles ne la servent. Elles s'en servent comme moyen d'appuyer une cohérence picturale, de confondre les repères de l'œil, afin d'amener la perception dans un deuxième monde. La narration est mise à profit dans la fin de construire un espace singulier. Le procédé de l'abstraction, pas encore identifiable en tant que tel, y est néammoins mis en oeuvre, et cela au niveau de la narration et du détournement des effets de réalisme.

. Un cas qui peut nous intéresser ici est celui de la production de Jérôme Bosch. Car l'œuvre de ce peintre peut être compris, dans le cadre de ce qui nous intéresse ici, comme une légère bifurcation par rapport au parcours communément admis entre le moyen-âge et la renaissance, pour ce qui concerne la picturalité. Jérôme Bosch utilise un registre de figuration très proche de celui que l'on connaît au moyen-âge. La fracture par rapport à ce qui le précède semble se situer assez nettement dans la trame narrative elle-même qui, ici, est tellement chargée qu'elle happe le spectateur dans le délire du fantastique. Le peintre résout la question de l'illusion en dissolvant celle de la vraisemblance dans une évocation d'un monde parallèle qui est celui du rêve, ou plutôt du cauchemar. Une dimension illusionniste de la picturalité est ici atteinte en recourant de façon massive aux ressources de la mise en scène. Jérôme Bosch produit l'illusion, le décollement de la réalité du fait pictural, par la mise en scène, technique que l'on attribue pourtant plus aisément au théâtre. Pourtant ici les personnages et éléments mis en scène n'ont pas recours à la matérialité dominante du théâtre occidental qui est la parole. Les caractères figurés de chacun des éléments intervenant dans la mise en scène court-circuitent une existence qui pourrait se négocier par le texte si l'on avait été dans le domaine du théâtre. Ce qui est intéressant ici c'est les glissements de rôles qui se sont opérés entre différentes pratiques artistiques au cours des époques.

temps miniature: le cinéma

. Car au fil des évolutions technologiques le mouvement, au sens matériel du mot, est lui-même apparu dans l'art pictural, produisant une chose totalement nouvelle du point de vue des disciplines artistiques, et produisant du même coup un chamboulement dans ce petit monde du modèle réduit. Le film réduit le monde d'une façon très particulière, du moins si l'on s'en tient aux canons du cinéma tels qu'ils se sont imposés un peu partout: deux dimension qui peuvent prendre autant (voire plus, dans le cas du gros-plan) de place que dans le réel auxquelles elles se réfèrent et une troisième, le temps, qui elle se trouve très souvent réduite de façon discontinue, par saccades. Le temps y est comprimé d'une manière particulière: par paquets juxtaposés les uns après les autres, sautant au-dessus de segments de temps qui auraient existé dans la réalité. C'est ce qui permet, par exemple, de faire tenir dix ans dans une heure et-demie. Ici l'impératif illusionniste a encore joué, préférant une compression du temps par bonds à une compression linéaire qui aurait produit à nos yeux d'occidentaux un effet à par entière, celui d'une accélération en l'occurrence. Chaque axe de réduction, du moins dans une visée illusionniste, a son mode qui lui est propre.

La littérature

. Ainsi nous voyons, au fil de progrès des techniques (la perspective, la photo, le cinéma), un relais de rôles et de compétences s'organiser entre différentes disciplines artistiques. Il reste à mentionner que ces « progrès » ne se font pas uniquement du côté des créateurs, mais aussi du côté du public. A cet égard on peut remarquer que ce qui contribue également à faire disparaître progressivement la dimension narrative de l'art pictural c'est l'alphabétisation des masses, cette étape au cours de laquelle le public se dote (est doté) des décodeurs qui lui donnent accès au texte.

. Mais le cas du texte est assez particulier en ce qui concerne le modèle réduit. Le trouble intervient sur les axes de réduction: quels sont-ils et comment sont-ils traités? En fait on peut considérer le modèle réduit produit par l'écrit comme une notice de montage qui s'adresse directement à l'intellect qui se trouve chargé de synthétiser. Ici c'est la notion même de matérialité qui se trouve réduite à une existence mentale, référentielle, indirecte, théorique. La littérature quelle qu'elle soit, se base toujours sur la description, avec simplement des modes de précision qui procèdent de manières très diverses, allant de la description métrique aux touches les plus nébuleuses. Elle est le plan d'élévation suffisamment crédible pour que la pensée du lecteur puisse se rendre présent à l'esprit ce dont il est question.

Les matérialités transitoires de la poésie

La poésie adopte sur la question de sa matérialité une posture extrêmement singulière et inattendue. Facilement amalgamée, dans notre classement des pratiques de création, avec la littérature sur le plan de sa réalisation, donc de sa forme, elle peut cependant sauter d'un registre formel à un autre. Elle ne se négocie même pas comme plan de reconstitution mentale pour ses récepteurs. Elle peut adopter n'importe quel plan de matérialité, mais il s'agit bien d'adoption, et non pas d'incarnation. Autrement dit la poésie, même lorsqu'elle met en œuvre deux, trois ou quatre dimensions, n'est liée en aucune manière à cette matérialité d'emprunt. La poésie est dénuée d'attributs formels au sens matériel. Plus qu'immatérielle, on pourrait la qualifier d'esprit.

. La tendance que l'on a à rattacher la poésie à l'écriture trouve sans doute ses sources dans une ressemblance entre la pré-matérialité que constitue l'écrit et la transcendance matérielle que constitue le passage indifférent de l'une à l'autre. La poésie s'appuie sur différentes matérialités, sans jamais s'y fondre.

la musique comme totalité

La musique est un modèle réduit du tout. Elle ne tente pas de représenter les choses elles-mêmes mais la relation entre ces choses. C'est ici que notre système descriptif métrique s'effondre complètement. La notion de modèle réduit opère encore à condition que le modèle même de description du réel soit remis en cause. Ce modèle à quatre dimensions fonctionne concernant les êtres humains sur la surface terrestre tant que l'univers n'est pas envisagé. Or les investigations au-delà de cette surface, dans l' infiniment grand et l' infiniment petit, via la lunette de Gallilée par exemple, nous amènent à envisager d'autres modèles, ou tout au moins à relativiser nos quatre dimensions. La physique quantique est bel et bien une pratique qui s'avère être un mode pertinent d'étude et de description de la réalité alors même qu'elle remet en cause notamment la linéarité de ces dimensions et se met soudain à les rendre élastiques.

. La musique a anticipé ces découvertes et ces remises en cause en travaillant à construire des descriptions du réel non pas à partir des systèmes connus de description mais à partir d'un système inédit. Ce système, la musique n'aurait pas pu le construire en partant d'une perception de la réalité extérieure par nos sens. La musique est partie de l'intérieur de l'humain et s'est concentrée sur la relation entre la réalité et la sensibilité des êtres humains qui y évoluent. Ainsi la musique a pu établir un rapport indirect avec la réalité extérieure et ne pas être prise dans le jeu des illusions d'optique.

. L'outil de connaissance qui permet de se repérer dans la construction d'une musique n'est pas la perception sensorielle mais le ressenti.

habiter une chanson

Dans une situation angoissante, par exemple dans la nuit, lorsqu'on se met à penser à des périls réels ou imaginaires une tactique pour repousser ces pensées. Cette tactique consiste à chanter.

J'étais hébergé dans le squatt d'amis anarchistes. Sur les murs étaient peints et affichés des slogans à consonance révolutionnaire et contestataire. Je me souviens d'un de ces slogans: « L'ennemi est partout. Ne l'oublions pas! ». Divers slogans de ce type et de cette teneur n'ont pas une portée directement effective, ni même une portée d'objectivité. Je pense qu'il s'agit en fait d'un bout d'un chant,

l'art contemporain: modèles réduits d'actions

. Dans l'art contemporain s'est développée une forme de réduction qui aboutit sur des actions fictionnelles. Une vague de propositions artistiques prennent la forme d'entreprises fictionnelles, de jeux à jouer, de rôles. Ce ne sont plus des objets au sens matériel qui sont conçus et réalisés mais des actions qui sont organisées. Certains artistes fondent une entreprise qui ne produit rien et ne fait pas de profit et qui a pour fonction essentielle d'être exposée en tant qu'oeuvre.

Jouer à gulliver: Dans le cas de Claes Oldenburg c'est les êtres humains eux-mêmes qui deviennent momentanément des modèles réduits. Le sculpteur fait apparaître les éléments d'un décor dans lequel l'humain, devenu un petit bonhomme, évolue. Robert Morris produit un effet similaire avec celles de ses sculptures qui se présentent comme des volumes géométriques simples de taille humaine, comme des figures qui se seraient échappées d'un cahier d'écolier. Ce sculpteur, identifié aux minimalistes des années soixante, crée des volumes d'une simplicité et d'un épuration très aboutie. Ses pièces mesurent habituellement des tailles qui concernent directement le corps humain. Les visiteurs de ses expositions se trouvent ainsi face à des ensembles de volumes qui rappellent des jeux de construction mais qui, au lieu d'être manipulables avec les mains ne peuvent être bougés qu'en impliquant l'ensemble du corps.

. Le bac à sable pour adultes: Jason Rhoades condense des éléments issus de et constituant l'institution du monde réel dans un territoire qui est un monde miniature composé à partir d'éléments du monde. Dans une salle d'exposition il rassemble un grand nombre d'objets qui dans la réalité ont une fonction précise et qui se côtoient dans cet espace d'exposition alors que dans le monde réel on ne les voit pas ensemble. Évoluant dans ce territoire le visiteur se trouve dans la représentation d'un terrain de jeu. Jason Rhoades met en évidence la dimension latente de ludisme des adultes dans le réel.

. Contes et mythologies post-technologiques: Chez Mathew Barney apparaissent, sous forme de vidéos et d'installations, des scènes aux accents hautement mythologiques. Dans ces scènes diverses innovations technologiques et scientifiques tiennent un rôle qui n'est plus utilitaire mais un rôle de quasi-personnage, d'extensions ou d'attributs marquants de personnages. Ces outils et technologies interviennent comme des personnages ou éléments de décor mythologiques. Quand aux personnages eux-mêmes ce ne sont pas tant des hommes que des anges, au sens où ils n'interviennent pas pour leur caractère d'individus mais en tant que messagers, réceptacles, témoins, véhicules de l'ordre de jardins imaginaires, oniriques, féériques.

les modèles réduits et le jeu

Dans le cadre du jeu l'enfant accomplit des choses impossibles ou terribles. Il tue, il meurt, il a le pouvoir de voler, de ressusciter, de se transformer.

. Imaginons le cas suivant: un petit garçon joue avec ses petites voitures. Il élabore des règles, repère des axes de cohérence avec ce qu'il apprend du monde réel, en transgresse certains par des stratagèmes. Mais dans tous les cas il se met progressivement à envisager de par lui-même un rapport entre son modèle réduit de jeu et le monde réel qui le domine et lui échappe. Imaginons qu'il s'impose brutalement une cohérence totale entre son modèle réduit et le monde auquel ce modèle se réfère. Il ne serait plus alors capable de jouer. Par exemple il ne se permettrait plus d'imiter avec sa voix le «  vroumvroum  » des moteurs. Il ne se permettrait plus de «  tricher  » en poussant à la main des voitures qui, en référence à leur modèle grandeur nature, devraient avancer par elles-mêmes. Le jeu lui deviendrait impossible parce qu'il s'interdirait tout simplement de jouer. Lors de l'enfance le jeu est l'antichambre de la vie adulte, le laboratoire dans lequel s'élaborent les prises de repère par un individu du monde dans lequel il sera amené à exercer des responsabilités. Il est question de se représenter, de se faire une représentation de choses. Sans représentation du réel le champ d'action ne peut dépasser celui immédiat et infiniment proche du réflexe. Si le réel fait irruption en totalité et d'un seul coup dans la conscience d'un individu celui-ci ne peut pas réagir par son intelligence et ne peut faire face que au moyen de ce qu'il a de plus immédiat. Du même coup il n'a pas non plus d'espace-temps pour construire un rapport au réel lorsque celui-ci fera à nouveau d'inévitables irruptions par la suite. L'irruption du réel dans le monde d'un individu qui ne sait pas faire face à cela produit les mêmes effets qu'une agression, là où un individu ayant pu développer les moyens d'y faire face saura y réagir dans la gamme des efforts qu'il est entraîné à produire.

. L'enfant, n'étant pas instruit du monde, est encore en contact avec le réel. L'adulte prenant place dans le monde réel prend bel et bien place dans un monde, autrement dit, dans une modélisation du réel. Il s'inscrit dans une modélisation qui est dans un rapport acceptable (tout en étant imparfait) pour un grand nombre de personnes, le groupe social auquel il se rattache, entre la réalité et une modélisation. Mais cette acceptation suppose périodiquement des renoncements entre ce que l'adulte continue à recevoir de la réalité (la réalité l'impressionne, fait impression sur lui) et ce qui est partageable dans la modélisation du réel qu'est le monde. Pendant ce temps l'enfant, n'étant investi d'aucune responsabilité à l'égard du monde, se permet d'exprimer les impressions que la réalité provoque chez lui, sans se demander si cela est intégrable dans le modèle-monde. Une expression aujourd'hui en désuétude appelait l'enfant «  le drôle  » .

. Tant qu'il ne se superpose pas au monde réel le monde du modèle réduit n'est pas un substitut, n'est pas une drogue, ne constitue pas une régression. Une relation, un échange s'instaure entre le réel et le modèle réduit. Le modèle réduit existe malgré le monde. L'existence du monde ne remet pas fondamentalement en cause celle du modèle réduit. Le modèle réduit n'a pas besoin de nier le monde réel pour exister et se développer

qu'est-ce que le métier d'artiste

Le métier d'artiste consiste à prolonger la pratique du modèle réduit au-delà de l'enfance. Les adultes, contrairement aux enfants, ont à assumer une responsabilité réelle dans le monde réel. Ayant cette responsabilité ils se reconnaissent comme étant en mesure de l'assumer. Comment se fait-il alors que la pratique du modèle réduit, autant en tant qu'acteur qu'en tant que spectateur existe au-delà de l'enfance?

. Comme nous l'avons vu dans le cas de l'enfant le modèle réduit n'est pas désindexé du monde réel, qui n'est pas lui non plus désindexé du modèle réduit, ou du moins des modèles réduits. On a vu que les capacités d'agir dans le monde proviennent en partie des fictions développées dans les modèles réduits de l'enfance. Un modèle réduit fonctionne et se développe dans une relation à son référent. Pendant quelques siècles la figuration, reposant sur un lien à l'optique, a été le mode privilégié de relation au monde réel.

. La tâche de l'artiste consiste simultanément à développer son modèle réduit en tant que modèle réduit et à susciter de l'intérêt des autres personnes pour son modèle réduit en tant que modèle réduit. Pour susciter cet intérêt il a à établir un fait, un axe, de réduction qui soit abordable par les visiteurs de son modèle. Les visiteurs doivent pouvoir adopter des portions de ce monde dans leur mode personnel. A un certain niveau l'artiste et le visiteur accomplissent la même opération.

. L'artiste travaille à découvrir une terre nouvelle qui puisse être habitable, au-delà des terres connues.

. Deux écueils dans le métier d'artiste: un qui consiste à tenter de conformer le monde à l'image du modèle réduit; l'autre qui consiste à forcer son modèle réduit au sérieux et à s'interdire d'y jouer. Ces deux écueils reviennent du côté de l'artiste à une même chose qui est de fusionner/confondre le modèle réduit et le monde réel. Dans le premier cas


.On trouve fréquemment le second cas dans un certain nombre de tendances de l'art contemporain dans lesquelles la pratique artistique tente de se professionnaliser et de ressembler aux modèles sociaux de responsabilité de type homme d'affaire, expert en communication.

Dimension politique du modèle réduit

politique et modèle réduit

Une application à la réalité d'un modèle réduit aboutit à une crise entre réel et représentation. Le cas emblématique de ce genre de situation est la dictature.

. Le monde miniature est un domaine dans lequel des choses qui ne sont pas intégrables dans le monde commun peuvent avoir une existence. Elles ont une existence réelle mais n'ont pas d'existence dans le réel. On se trouve dans le paradoxe de choses que des individus ressentent la nécessité personnelle de faire exister mais qu'ils ne peuvent pas faire exister dans le réel sans remettre en cause la possibilité à d'autres mondes miniatures d'exister. Le réel bannit les mondes miniatures mais il est la voie de circulation entre ces mondes miniatures. Le monde réel accepte l'existence de mondes miniatures mais pas sur son territoire. Les modèles réduits prennent une place réelle dans le monde réel: salles et organisations d'expositions, revues d'art, etc. Cette place est acceptée et organisée dans le monde réel sous le nom et l'idée de divertissement, loisirs, et autres noms et idées apparentés.

. Le monde réel est constitué de et par l'influence d'une multiplicité de modèles réduits.

. Des modèles réduits peuvent très bien se croire et se prétendre monde réel. On assiste à de tels phénomènes notamment dans les régimes utopistes totalitaires.

. Le modèle réduit réagit à l'usure du monde réel en préparant des alternatives. Le passage d'un élément d'un modèle réduit au monde réel se fait par adhésion d'un grand nombre, d'une convergence de consciences de personnes.

Ça tient le coup

Plus le modèle réduit d'un individu tient le coup et s'affirme face à un monde et bien que prenant pleinement conscience du monde, et traitant les oppositions du monde au modèle réduit, plus cet individu est un artiste qui nous étonne, nous échappe, nous dépasse, nous marque. Objectivement le réel est un démenti au modèle réduit. Mais je jeu, tant qu'il reste un jeu, est invincible et résiste à toutes les pressions extérieures au sens où il est une tension intérieure, une exigence du joueur à parvenir à un jeu cohérent. Un jeu cohérent c'est un exercice qui consiste à mettre en équilibre les prétentions de réalisme du jeu avec sa formulation. Ce qui intervient dans cet équilibre c'est notamment le degré d'exigence tel qu'il est annoncé et défini, au sens où le degré de réalisme doit être défini.

village et cosmos(Edit)

le village comme grandeur parfaite

En tant que faisant partie de l'espèce humaine notre échelle de représentation spontanée du monde est de l'ordre du village. Dans des ensembles plus grands, tels que le monde, la ville, la toile électronique, nous reconstituons spontanément un village dans lequel nous nous intégrons. C'est ainsi que, par exemple, la presse à scandales crée et anime, sur la base de personnes qui ne nous sont pas directement connues, des personnages dont nous est présentée l'intimité comme nous l'entendrions dans des potins de village. Les médias de masse, dont on aurait pu s'attendre à ce qu'ils fassent voler en éclat cette échelle de représentation en la remplaçant par une échelle mondiale ont en fait abouti à une reconstitution d'un village électronique, du village avec une composante électronique. Ainsi nous avons une impression de proximité avec des nouvelles nous parvenant d'origine très diverses, ayant ainsi l'impression que ce que nous voyons sur nos écrans se trouve au seuil de notre porte, ou encore que des faits exceptionnels qui se sont produits pour une poignée de personnes sur un total de plusieurs milliards sont devenus des faits courants puisque nous les avons ressentis comme s'ils avaient eu lieu dans notre village. Nous opérons spontanément une distorsion d'échelle. Le village paraît être à la fois la mesure de notre capacité de représentation et la limite au-delà de laquelle nous avons de réelles difficultés à nous représenter une communauté humaine, limite au-delà de laquelle les choses deviennent abstraites, au-delà de laquelle notre imagination est remplacée par une abstraction mentale, conceptuelle. Quelle est la taille canonique d'un village? Il faut se demander jusqu'à combien de personnes il est possible à chaque membre du village d'instaurer un rapport direct, c'est-à-dire un rapport sans médiation. Car dans un village il n'y a pas de système. Or la médiation implique un système. Le chiffre de trois-cent personnes a été avancé.

l'espace-organe

Le village se révèle être un espace-organe, au sens où l'esprit humain parvient de façon naturelle et sans technique particulière à l'envisager. On peut se le représenter comme une bulle qui entoure le corps, une bulle aplatie et d'un diamètre horizontal d'environ une dizaine de kilomètres au grand maximum, ceci au regard de ce qu'il est possible de pratiquer en terme de voisinage. Cette bulle est de forte densité là où la personne passe l'essentiel de son temps. Cette densité s'affaiblit là où cette personne passe moins de temps et devient presque nulle à ses limites. Dans cette bulle la thèse de la terre comme étant non pas une sphère mais une surface plane se présente comme la plus vraisemblable, la courbure de l'horizon n'étant même pas perceptible. D'un point de vue biologique cette perception de la réalité est tout-à-fait pertinente et opère de façon satisfaisante pour assurer notre survie d'êtres terrestres. Envisager que la terre soit plate et non pas ronde ne remet absolument pas en cause notre efficacité de villageois sur la surface terrestre.

. On serait tenté de penser que avec l'avènement et l'omniprésence des moyens de communication à distance dans le monde contemporain ce schéma n'est plus valide. Les médias ont en effet opéré des prolongements des présences, des prolongements pouvant mesurer jusqu'à des millions de kilomètres, si l'on pense aux sondes spatiales et aux télescopes. Pourtant ce qui ne change pas au niveau de la bulle c'est son volume total. Seule sa forme change, forme que l'on peut se représenter comme une sphère aplatie d'où partent des filaments très longs et très fins. Ainsi si nous observons la situation nous assistons à des phénomènes très curieux. Par exemple, le fait que quelque chose qui ait lieu à des milliers de kilomètres d'un endroit donné ait le même impact sur des téléspectateurs que si cela s'était objectivement passé dans leur quartier. En fait, via les médias, cela s'est passé dans leur village. Et, par exemple, cet événement pourtant lointain prendra autant d'importance dans leur conversation que si cela s'était passé effectivement dans leur village. De façon cette sphère aplatie qu'est l'organe-village accepte à-peu-près toutes les distorsions tant que sont volume et son étanchéité sont conservés. Ainsi le villageois peut se rendre à l'autre bout de la planète sans avoir à sortir de son village. Il suffit pour cela qu'il le fasse dans le cadre d'un voyage organisé.

hors des organes

Que se passe-t-il pour un individu qui, se rendant aux limites de son organe, se met soudain à franchir cette limite? Il peut arriver que quelqu'un dépasse les limites de son organe. Cette personne se trouve alors projetée dans une expérience cosmique, sans transition. Une fois l'enveloppe de l'organe crevée c'est le cosmos qui révèle sa présence. Si la personne qui fait cette expérience ne l'accepte pas le cosmos est interprété comme étant la folie, la destructuration de l'être, son auto-déchiquetage.

. Un individu qui sort de façon répétée et volontaire de son organe et qui accepte ces sorties peut être qualifié de voyageur. A l'inverse un individu qui ne peut pas en sortir peut être qualifié de villageois.

univers-décor

Depuis le développement et la diffusion de la rationalité occidentale le villageois voit son échelle de repères soumise à rude épreuve. Comment faire, lorsque, voyant par les médias des images du globe terrestre, il s'agit de conserver son échelle de repères qu'est le village?

L'idée d'universel est biaisée. Un villageois ne peut pas envisager l'universel. Même en étant radicalement déplacé de son lieu géographique d'habitation le villageois reconstitue ce lieu là où il se trouve. Nous voyons ce phénomène à l'œuvre dans des faits typiques de la société-système. Ainsi dans la pratique du tourisme, du moins dans sa forme de voyage organisé, des villageois se trouvant pour une courte période dans un endroit qui leur est étranger trouvent leur mode de vie reconstitué. Et ce n'est alors que le décor qui change: palmiers et plage en lieu et place du béton gris et du macadam humide. Le voyage touristique organisé peut être considéré comme une pratique d'aménagement intérieur plutôt que comme voyage. Une autre illustration nous est fournie par la façon dont nous avons tendance à ressentir et à interpréter les nouvelles nous parvenant de la planète entière via les médias.

Villages filaires

Dans une société-système les villages en se présentent plus comme des concentrations d'habitations. Sur le plan géographique un seul village peut, via les moyens de communication actuels, être constitué de fragments se trouvant en divers points du globe.



le chemin de fer, cathédrale horizontale

Nous avons l'habitude de considérer les cathédrales comme des chef-d'œuvre du moyen-âge.

Quelle est la taille du chemin de fer? Qui en est le créateur? Le chemin de fer parcourt une grande part d'un territoire national. Si le chemin de fer n'est pas considéré comme une œuvre c'est sans doute qu'il est trop grand. Sa sur-monumentalité fait qu'il se dissout. Il n'a plus l'unité d'un monument.

_Le fait d'auteur ayant abouti au chemin de fer est trop dilué pour qu'on le prenne comme tel. Qui sont les auteurs, ou ne seraient-ce que les artisans du chemin de fer. La volonté se dilue. Des volontés trop marquées auraient segmenté l'équipe, une équipe à l'échelle d'une société.

chambres de distorsion(Edit)


la figure de l'écho


la bande-son comme lieu, ou une expérience des lieux filaires


tapis roulants

Entre autres pistes de travail ma période d'étude en arts visuels a vu apparaître dans ma pratique plusieurs réalisations de zones de distorsion du temps. Dans des lieux de type salle d'exposition les visiteurs entendaient une diffusion de ce qui paraissait être une bande son mais dans laquelle il apparaissait des traces sonores de leur présence dans le lieu antérieures de quelques instants à leur présent. Une diffusion sonore était installée à un point d'écoute ou dans une salle d'exposition. Sur le plan technique pour produire des retards de temps je construisais essentiellement des systèmes à bande magnétique dans lesquels la tête d'enregistrement et la tête de lecture étaient séparées d'une distance qui allait de quelques centimètres à plusieurs mètres. En rapport avec la vitesse de défilement de la bande magnétique cette distance entre le point d'enregistrement et le point de lecture déterminait le temps de retard. Elle était aménagée en fonction d'un rapport entre les dimensions de la zone spatiale que mes pièces concernaient (elles concernaient parfois un parcours) et entre l'usage qu'avaient les personnes de cet espace. Dans une première phase je travaillais avec des systèmes analogiques à base de magnétophones à bande très volumineux. Le système était visible, voire montré. Puis j'ai travaillé à base de magnétophones à cassette que je modifiais et je me suis acheminé vers une discrétion de la présence du montage technique en lui-même, les magnétophones étant devenus quasiment invisibles, d'une part parce qu'ils étaient en eux-mêmes plus petits, d'autre part parce que je les voulais plus petits et qu'en plus je les cachais ou ne les montrais pas.

miroirs, anamorphoses

Un travail antérieur a amorcé cette série, sans en faire directement partie. Il s'agissait d'une modification d'une acoustique au moyen d'un dispositif électronique. Une salle d'exposition de très petite dimension réverbérait comme une cathédrale tout son qui y était produit par la présence des visiteurs (bruits de pas, voix, etc.). Outre un microphone et un système d'écoute stéréophonique j'avais mis en œuvre une réverbération électronique. Sur le plan technologique, dans les appareils actuels, le phénomène sonore de la réverbération acoustique des salles est modélisé (imité) par un montage de lignes à retard qui enregistrent le signal audio qu'on leur envoie puis se rediffusent les unes dans les autres cet enregistrement avec un court laps de temps de retard. Le phénomène sonore de réverbération se comporte comme un écho très court dont les répétitions se mélangeraient, créant un magma, une masse qui tend vers le bruit. Comparé à un écho une réverbération sonne comme une résonance: au lieu de s'entendre séparément les répétitions du son se mélangent au point de former une masse compacte qui est le son de la réverbération. Lorsque nous produisons des sons dans un lieu réverbérant nous entendons en retour des entités sonores qui proviennent directement de ce que nous avons produit mais qui n'y ressemblent pas. Les sons réverbérés sont comme des avatars de nos propres sons. Nous disséminons notre présence dans un lieu et dans le temps sonore de ce lieu, dans sa résonance. Un premier degré de dédoublement apparaît dans le jeu de la réverbération.

Ça a la forme de son utilisation

Dans toute cette lignée de travaux la technologie apparaît par elle-même et pour elle-même, pour son propre potentiel expressif, par les structures de représentation qu'elle porte et sur lesquelles elle repose. Un phénomène transitoire qui normalement (c'est-à-dire dans la perspective dans laquelle cette technologie a été développée et mise en œuvre) reste un épisode de travail et n'apparaît pas dans ce qui est présenté au final. Or ce phénomène transitoire prend ici une existence propre pour se rendre présent aux visiteurs. Ici il n'y a pas de projet pré-existant à la technologie à laquelle celle-ci serait mise à contribution. Sans la technologie le projet ne se formule même pas car c'est la manifestation d'une technologie qui motive le projet lui-même. Sans la technologie il n'y a pas de nécessité artistique au projet. Le projet artistique vise et désigne l'existence du moyen technique de sa réalisation, ce moyen technique lui-même, précisément. La dichotomie contenant-contenu n'est pas adaptée ici. La nécessité artistique propre à ces travaux vient d'une rencontre que j'ai avec un outil que je considère comme un personnage. Ainsi mon rapport à la technologie est un rapport de rencontre. Ce que j'appelle le personnage de l'outil ce sont généralement des détails qui trahissent l'artificialité des machines, un bruit de fond par exemple, ou un caractère un peu sec dans une reproduction quasi-parfaite, ou trop parfaite, d'un son.

Une stratégie pour la forme

L'art contemporain nous désoriente par rapport aux idées que nous pouvons avoir de ce qu'est une forme. Comment faire dans un climat d'épuisement de la notion de forme quand on ressent d'un point de vue personnel cette idée de forme, que l'on pense en faire l'expérience sensible? Où trouver cette notion de forme, lorsque, participant soi-même activement à cette dissolution contemporaine de cette notion on refuse d'aller la chercher dans les endroits où elle est sensée se trouver? Une forme n'apparaît pas ex-nihilo. Elle apparaît dans un magma, dans un flux. Or ce magma chacun de nous en fait partie. Ce flux, notre être conscient y est intégré. La difficulté particulière dans le champ des pratiques artistiques c'est que la forme y est un élément courant, un élément du magma, du flux. Y générer une forme c'est s'intégrer parfaitement dans ce magma et ce flux. Par conséquent c'est ne pas générer de forme, annuler, dissoudre, évaporer la possibilité pour une forme d'apparaître, d'exister. Donc, de ce point de vue, en art générer une forme c'est générer un incident ou accident de forme. Mon activité en tant qu'artiste ne serait plus une activité de la forme mais de l'accident (une forme ne pourrait pas être détenue en soi). Cet accident n'existe pas en-soi. Il se produit lors de la rencontre entre la proposition artistique et la conscience de la personne qui s'y trouve confrontée. On peut comparer ce phénomène d'instant de la forme dans un contexte à un trajet habituel en voiture mais au cours duquel se produirait une crevaison d'un pneu. L'automobiliste, arrêté sur le bas-côté de la route pour remplacer la roue crevée, se trouverait alors projeté dans une situation qui lui est nouvelle sur ce trajet qui lui est habituel. Transposé dans le domaine de l'art c'est dans la relation entre la normalité du trajet et la spécificité de la situation de la crevaison qu'apparaît une forme. La forme est un noeud dynamique, en contradiction finalement avec l'apparence statique que nous avons tous tendance à lui donner pour la conserver.

croire, savoir, imaginer

Il est frappant de voir combien les communautés humaines ont travaillé à bâtir une vision du réel, une fable. Et nous-mêmes nous n'y échappons pas: une anti-fable, fût-elle positiviste et rationaliste, est encore une fable. Manifestement nos sens n'ont pas pour rôle de nous faire appréhender en conscience la réalité mais de nous y faire survivre et vivre. Ainsi, notre sens de la vision ne nous transmet que les impressions lumineuses qui concernent notre vie sur la surface terrestre, et ne nous transmet pas les rayons ultraviolets ni les rayons X, ni les ondes radio par exemple, de la même manière que nous n'avons pas de senseurs magnétiques. Et nous ne sommes pas restés à attendre que l'évolution de notre constitution biologique « reconnaisse » et valide nos envies d'étendre le spectre de nos sens comme des besoins et les traite en tant que nécessaires à notre survie et ne nous dote par exemple d'antennes radar dès la naissance. Nous avons formulé un axe de développement de notre civilisation appelé « progrès ».

. Une part importante de l'activité scientifique a toujours consisté à tenter de déterminer ce qui est réellement à l'œuvre au-delà de ce que nous percevons de la réalité qui nous entoure. Notre subsistance matérielle n'avait pas directement besoin pour être assurée de considérer la terre comme autre chose qu'une surface plane. Pourtant quelques savants, depuis entrés dans l'histoire, sont allés imaginer puis vérifier que la terre, bien au-delà de ce qu'ils nous est donné de voir de nos yeux à hauteur du sol, est ronde. Laquelle de la terre plate ou de la terre ronde stimule le plus l'imaginaire?

métrique et burlesque

Dans l'histoire des arts sonores dans la culture occidentale l'intervention de la science tient une place déterminante car elle a produit une approche du son différente de celle qu'avait la musique, seule pratique jusqu'alors à considérer le son, fût-ce dans une relation utilitaire, comme support d'une structure musicale. Le point de vue scientifique sur le son dégage ce dernier de l'emprise affective que la musique exerce sur lui, d'une relation exclusive. Il revient à la source du son en lui-même et efface le tableau des affects liés aux différents sons dans la musique. Etudiant le sonore la science a généré un champ de sons neufs, non pas en créant de nouveaux sons mais en remettant en cause nos habitudes de rapports aux sons.

. Mais une fois la période revivifiante de la découverte passée la science perd de son rapport au sensible. Car il ne suffit pas de constater une rupture. Il faut encore trouver et établir des continuités qui soient plus actuelles, faute de quoi le passé, avec et malgré sa fatigue, son épuisement, apparaîtra encore comme la seule solution. Par rapport à cela je me suis senti la nécessité de remettre en route un rapport de découverte avec le son. Je vois le fait de faire intervenir le son dans les arts visuels comme un acte proche de la mesure, de l'étude, procurant l'aménagement d'un point de vision.

. Les technologies mises en œuvre dans les machines conçues pour le travail du son résultent de croisements de connaissances scientifiques. Dès lors ces machines peuvent être considérées comme des conglomérats encyclopédiques de savoirs scientifiques.

. Isabelle Sordage a constitué une collection de petites règles qu'elle a soigneusement confectionnées et qui affichent toutes une graduation de 20 centimètres tout en étant chacune de longueur légèrement différente. Chacune de ces longueur correspond à un report scrupuleux de la distance donnée par des personnes auxquelles elle demande de lui montrer avec l'écart entre leurs mains une longueur de 20 centimètres.

. Travaillant avec des machines conçues pour maîtriser le son je navigue pourtant dans l'étonnement. Je passe d'étrangeté en étrangeté.

documenter un doute

Cette zone de mes travaux à base de retards divers a trouvé un prolongement dans une série de pièces dont la construction repose sur des jeux de distorsion de déroulement temporel. Il s'agit de pistes sonores qui donnent à entendre des enregistrements qui commencent par un pur artefact sonore technologique (un bruit électronique, genre bruit parasite pour certains, ou une tonalité quasi pure pour d'autres) pour se décanter petit-à-petit au cours du déroulement de la lecture et laisser apparaître progressivement l'enregistrement d'ambiance acoustique qui se révèle comme étant le constituant de base du son abstrait de départ. On entend donc la construction à rebours de quelques chose qui est en train de se construire. On est en présence d'un document (enregistrement comme document sonore, parce que consultable) de la construction de quelque chose, ou du déroulement d'un phénomène, tout en étant dans ce phénomène et en le vivant, simultanément dedans et dehors donc. A l'image de ce dessin d'un illustrateur humoriste dans lequel on voit un homme vomir, puis vomir ses entrailles, puis se vomir totalement de sorte qu'il se retourne comme un sac.

. Mais ce qui est amené au visiteur dans ces pièces ce n'est pas le processus de fabrication mais la relation entre des indices d'écoute et le processus. J'établis un terrain de jeu autour d'une question qui apparaît par l'écoute et qui est « qu'est-ce qu'on entend ». Je travaille à faire évoluer la réponse par l'expérience vécue à l'écoute. Dans les premiers instants de la lecture la bande paraît se situer hors du cadre de ce que vit le visiteur dans l'exposition. Puis apparaît le procédé qui se révèle être un clin d'oeil à la présence du visiteur.

bande-son et lieu

Dans ces pièces, bien qu'elles prennent la forme de bandes son, le rapport au lieu est très fort, tout aussi fort que dans les retards présentés dans des lieux de type salle d'exposition. Pourtant une bande son existant sous forme de multiple et diffusable en diverses situations et par diverses personnes n'est pas objectivement en soi un lieu. Mais ici c'est l'écoute, le fait d'écouter, le vécu de l'écoute, qui produit le lieu. Ce lieu existe par le mode d'habitation du temps d'écoute. On est à l'inverse d'une situation qui abolirait la notion de lieu, comme cela se fait habituellement en musique où la conscience est amenée à une flottaison, au sens d'apesanteur, par rapport à tout lieu et à une primauté de la vibration corporelle ou encore sans doute une expérience proche de la vie intra-utérine où la conscience de lieu n'a pas encore lieu d'être pour le fœtus. Au contraire on est ici dans une situation où c'est l'expérience concrète quotidienne du visiteur qui est sollicitée, par comparaison d'expérience entre un quotidien sonore physiquement cohérent et l'expérience qui est faite par le visiteur confronté à cette proposition plastique paradoxale.

. Cette série de travaux est apparue par rapport à un cas concret que j'ai eu à traiter et qui était ma participation à une exposition collective. Je me trouvais alors dans une situation dans laquelle je n'avais que très peu de maîtrise de l'espace, notamment de l'espace acoustique. En effet la fluidité physique du son dans l'espace est encore renforcée dans les lieux d'exposition, où aucun travail spécifique n'a été développé sur le plan architectural pour une séparation entre différentes zones. Sur le plan physique une intervention sonore se trouve donc pour ainsi dire lâchée dans l'espace, et dans l'ensemble de cet espace. Son volume est gazeux, volatile, et non solide et fixe. Je me suis alors mis à travailler sur une construction de formes non pas sur le plan physique mais sur le plan mental, un développement temporel dont le mental du visiteur d'une exposition puisse expérimenter la forme, un peu comme une sculpture autour de laquelle il pourrait déambuler mentalement.

. Le développement de la piste son en lui-même est simple: un bruit dont la décantation laisse progressivement entendre de quoi, de quels sons et sur quel principe, il est constitué. Plusieurs bandes sont réalisées sur le même principe et diffusées bout-à-bout en continu par un petit système d'écoute stéréophonique dans une zone très réduite d'un couloir de l'exposition. L'occupation spatiale de la pièce dans l'exposition tire parti de la présence du visiteur dans le lieu et de la présence résiduelle de son écoute. Chaque piste son développe l'ensemble de son processus dans une durée de deux à trois minutes. Ainsi lorsqu'il déambule dans le reste de l'exposition, hors du champ de la stéréophonie le visiteur a en bruit de fond une trace du développement temporel des bandes. Une écoute rapprochée qu'il peut choisir d'accomplir ou non en se plaçant entre les deux enceintes lui donnera alors les détails relatifs à l'impression qu'il avait dans une relation lointaine à ce qu'il entendait. Il pourra alors entendre le passage d'une masse sonore artificielle à des sons issus de notre expérience acoustique quotidienne, ainsi que le processus de ce passage. Chaque piste se comporte comme un volume compact constitué d'une surface plane pliée sur elle-même et qui se déplie progressivement jusqu'à la fin de la piste. On se retrouve donc dans un premier temps face à une forme explicitement artificielle, puis face à une forme en train de se faire, et enfin face à un simple cliché sonore d'une situation acoustique courante, rappelant quelque chose que chacun a pu entendre par ailleurs dans telle ou telle situation de la vie quotidienne.

espaces embarqués et surface du temps

Par ce travail j'ai commencé à envisager le fait qu'une bande son peut ne pas constituer une totalité perceptive, un monde en soi, mais rentrer en relation dialectique avec la situation du temps, de l'espace et du contexte dans lesquels elle se présente. Je cherchais à embarquer dans une bande son un espace mental qui puisse se parcourir mentalement comme peut l'être physiquement (mais aussi mentalement) un espace réel. Dans cette pièce les sons diffusés par le dispositif sont pré-enregistrés, donc fixés dans le temps. C'est donc au niveau de l'esprit que ce mouvement peut se faire, dans la manière dont l'esprit peut ou non jouer avec ce qui lui arrive par le biais de la perception mise en relation avec son vécu et sa connaissance des espaces réels. Il s'agit de ne pas happer l'attention du spectateur, de lui laisser sa possibilité de mouvement, comme dans un espace qu'il peut parcourir physiquement. Les éléments que je fais intervenir dans mes bandes son ont souvent un degré de hasard dans leur présence. Le mode de montage des divers éléments sonores entre eux est souvent totalement mou, au sens où il donne à entendre des sons qui pourraient être agencés d'une façon différente de celle dans laquelle ils apparaissent sans que les bandes en soient fondamentalement différentes. Les divers éléments sont agencés entre eux dans l'idée de tester leur propre présence dans un contexte, et non de prendre une place définitive. Ces bandes restent des agglomérats de signaux test et ne prennent pas le statut d'œuvre définitive. C'est le test et non l'œuvre que je travaille à aboutir. C'est le test qui est l'œuvre (c'est-à-dire que mes œuvres sont des tests).

. Je travaille avec des phénomènes de retard, redoublement et répétition, mais qui ne sont plus des phénomènes métriques réguliers, au sens de répétitions rythmées, donc prévisibles, tels que peut l'être par exemple l'écho entendu au sens de phénomène acoustique. Comme on peut établir une dynamique dans l'intensité sonore, c'est-à-dire un degré important de différence entre les sons les plus forts et les sons les plus faibles j'établis un espacement entre les sons tels qu'on peut les attendre et leur apparition effective. C'est-à-dire qu'avant de donner une suite à tel ou tel son je dégage un champ de possibilités tout autour de lui. Pour l'instant j'ai procédé pour cela essentiellement de deux manières. L'une consiste à ralentir le temps (on peut aussi dire à le distendre) à l'intérieur des bandes en construisant des évolutions très lentes, molles, distendues. Cependant même en terme de ralentissement je me suis démarqué d'un simple étirement régulier du temps en intégrant des flottements dans la régularité de l'horloge des bandes son. L'autre, qui provient d'une pratique de travaux pour espace d'exposition que je développe continuellement en parallèle, consiste à dissoudre la sensation de temps dans l'écoute des bandes, à mettre même la présence des bandes en retrait, à faire oublier que l'on est dans un cadre d'écoute délimité par une bande. Dans ce cas je suis passé d'un mode du parcours, pratiqué notamment par la composition musicale, à l'établissement d'un terrain, vague, d'une friche, d'une aire sur laquelle sont disséminés des objets et des signes.

faire avant de travailler

Toute cette zone d'activité est apparue chez moi dans une relation de rencontre avec des dispositifs technologiques déjà en fonctionnement, dans un contexte industriel et technologique déjà hautement élaboré et développé, du fait que je suis né dans une société hautement équipée en électronique et notamment en électronique sonore. Pour ainsi dire des visages me sont apparus dans les fonctionnements mêmes des machines à son (non pas des visages dans les fonctionnements mais les fonctionnements comme visages) présentes dans l'environnement domestique (via les chaînes hi-fi, récepteurs radio, alarmes, etc.), alors que ces outils n'avaient pour rôle de contribuer à faire apparaître des visages qu'au bout d'un processus de projet, d'une intention. Le projet est alors devenu pour moi de sortir du projet intrinsèque des équipements audio, de cette géométrie du projet comme on sortirait du modèle géométrique qui a accompagné et soutenu tout notre développement social et culturel (saut extra-culturel qu'accomplit vraisemblablement en discrétion à quelques moments de sa vie toute personne). Les choses ne se font plus par le travail d'un projet défini et réalisé de façon linéaire mais par la rencontre avec une entité qui se détache de soi-même, dans l'approche de ce phénomène de détachement. Quand à la fabrication, elle est mécanisée et automatisée: mes machines fabriquent des choses et moi j'écoute ces choses. La bande sonore apparaît ici par le vécu qu'en a le visiteur sans qu'il n'y ait pour lui de travail. Sa bande sonore apparaît sans qu'il n'en formule le projet. Au moment où dans mon parcours personnel j'ai assumé une position de créateur les machines fonctionnaient déjà. C'est cela que j'appelle assez spontanément les « robots ». Comme tout un chacun je suis entouré de robots, de machines qui fonctionnent déjà sans mon intervention. Mon acte d'artiste consiste à leur poser une question de simple curiosité: « qu'est-ce que ça fait si... ». Et cette question je la pose via une pratique de création sonore.

machines à vécu

Il ne m'est plus alors nécessaire de faire figurer le processus, en montrant par exemple les machines en elle-mêmes de visu, ni en les faisant figurer. Il ne m'est plus nécessaire d'expliquer les fonctionnements techniques des appareils (mécaniques, analogiques, numériques, virtuels) mis en œuvre. Ce qui m'intéresse c'est un autre fonctionnement: celui de la sensibilité. La machine est en nous et c'est avec elle que je travaille. C'est nos machines intérieures et intériorisées qui font apparaître mes pièces d'artiste. C'est bien d'êtres humains que proviennent les machines. Les machines sont une occasion de s'objectiver, de se mesurer. Se mesurer aux machines comme on se mesurait entre chevaliers.

galerie des glaces

Elargir le périmètre de l'écho, établir le périmètre de l'écho. L'une de mes pistes actuelles de travail consiste en une série de rediffusion d'enregistrements de sons apparus dans l'environnement du quotidien (le mien, voire le notre, quand ces prises de son sont acoustiques, le notre quand elles proviennent des radios commerciales). J'ai notamment travaillé à partir de journaux radiodiffusés. Ces enregistrements sont effectués par des dispositifs automatiques programmés branchés sur des récepteurs radio domestiques. Des systèmes de lecture automatisés se chargent ensuite de les relire dans un ordre que je ne contrôle pas (bien sûr, je travaille à faire une place spécifique à ce désordre). Le processus d'écho n'opère plus par une écoute de nous-mêmes mais ici d'une chose avec laquelle nous avons un lien, un son qui fait partie de notre quotidien, du son qui nous appartient en tant qu'étant localisé dans notre quotidien dans un espace et dans un temps. Comparé à un effet d'écho stricto sensu les temps de répétition sont élargis et la métrique régulière de l'espace de la mémoire de l'écho se trouve dissoute. Nous ne sommes plus dans un dispositif physiquement contrôlable dont nous pouvons reconstituer mentalement le déroulement en nous informant de l'heure qu'il est. Ce n'est plus les faits que nous contrôlons mais, s'il est encore question de contrôler quelque chose, notre façon de les vivre.

des pensées dans les formes

A Versailles sous Louis XIV la Galerie des Glaces était un dispositif de contrôle, qui produisait des images bien encadrées mais qui en produisait une multiplicité. Ce dispositif de miroirs multiples s'établit sur une contradiction entre la réalité de la vision et le cadrage du miroir. Sur le plan de notre constitution biologique d'êtres humains notre regard n'est pas constitué d'une zone nettement délimitée de vision nette en-dehors de laquelle il n'y a que de l'opaque, contrairement à ce que formalise le système pictural occidental avec sa définition d'une netteté égale sur toute la surface picturale et cette brusque interruption du champ de vision au-delà des bords. Notre vision, au sens biologique, est progressive, passant d'une zone de netteté centrale à une zone de plus-en plus floue sur les côtés, le tout dans une répartition plus circulaire et nuageuse que nettement rectangulaire. Dans la Galerie des Glaces la disposition des vues investit les marges de notre champ de vision ainsi que la partie aveugle de celui-ci correspondant à ce qui se situe derrière notre tête et que sur le plan optique nous ne voyons pas. De plus la multiplicité de vues de type pictural constituée de l'ensemble des miroirs est en contradiction avec le contrôle de l'image des sujets par eux-mêmes que devrait permettre le cadre limité de chacune des ces images. L'appréhension même du flou comme limite progressive du champ de vision est elle-même dissoute. Comme « troisième œil » je propose le sonore, mais à condition que le regardeur autorise une vacance à son observation (tant auditive que visuelle d'ailleurs). Par jeu de fragmentation et retour de fragments de l'axe temporel de la bande son je m'amuse à accélérer un système de galeries des glaces beaucoup plus vaste spatialement que celui de Versailles et qui est le système médiatique. Je me vois comme un individu dans un gigantesque système qui est le système médiatique et qui m'apparaît dans mon imagination comme étant comparable à la galerie des glaces. Pour moi la galerie des glaces redevient un jeu, un kaléidoscope.

l'enregistrement comme chambre d'écho

Nous appréhendons l'enregistrement essentiellement comme un média. Mais la lecture d'un enregistrement n'est pas simplement documentaire. Pour une personne qui est en train d'entendre cette lecture il s'agit également d'une expérience. On peut considérer les différentes auditions par une même personne d'un même enregistrement comme un écho étendu dans le temps, un écho à très grande échelle, l'auditeur basculant dans une temporalité miniature de lui-même. Chaque nouvelle audition de l'enregistrement apparaît comme en rebond par rapport à la précédente.

. En cela j'envisage l'ensemble de ma production comme une vaste chambre artificielle d'écho de sons qui me parviennent de mes diverses situations quotidiennes de vie. Je peux à présent envisager mes bandes non comme des formats fermés mais comme des éléments d'expérience. Je vois mes enregistrements comme des rebonds de la projection dans le réel que sont nos vécus. Ainsi Truc se présente sous forme d'un boîtier contenant deux exemplaires d'un même disque dont chaque piste tient plus du bruitage à intégrer dans un acte de lecture que d'une piste qui serait à écouter dans une simple perspective stéréophonique. Chaque piste de Truc peut être considérée comme un fragment qui aurait été découpé et extrait d'un écho.

. Mais j'envisage également tout enregistrement apparaissant dans tout type de média comme un fait d'écho. C'est ce que l'on peut entendre par exemple dans Un Clocher, pièce sous forme de piste sonore qui est constituée d'un très grand nombre de répétitions de trois très courts extraits d'un disque du commerce.

formater ou arpenter?

Un enregistrement n'est rien de plus qu'une matière formée de manière à retenir des informations sous forme de codes. Entendre un enregistrement c'est en soi ne rien entendre ou, pour être plus précis, entendre de l'insignifiant. On n'entend jamais que la synthèse générée par la convergence d'information. L'enregistrement, pour se manifester dans un ordre de grandeur qui soit significatif (c'est-à-dire qui prenne place dans notre expérience de perception acquise à la surface de la terre), branche pour ainsi dire le flux de ses informations sur un récepteur qui est en nous, un récepteur de code et qui traite du code. Ce qui se manifeste à nous comme étant entendu ce n'est pas l'enregistrement lui-même mais la synthèse qu'en produit notre complexe de décodage, l'impression synthétisée par le code reçu et traité. Cela explique que nous puissions éprouver une adhésion à des signaux qui sont très pauvres sur le plan de la finesse sonore, bien en deçà de notre finesse de perception physique des sons. En effet concernant un enregistrement de musique métrique ou tonale c'est la cohérence métrique et/ou tonale qui l'emportera sur l'imprécision sonore. Les systèmes musicaux métriques et tonaux s'appuient sur une mesure et une récurrence. Le sonore ne s'y adresse pas à du sonore mais à un système. La machine musicale est une machine qui est déjà en fonctionnement, un fonctionnement par défaut, chez l'auditeur avant que toute musique n'arrive à son oreille. Cette machine musicale reconnaît et réassemble en un assemblage intérieur, une intériorisation de la musique pour chacun, ce qui est diffusé pour tous. Les musiques avant-gardistes elles-mêmes prennent place dans ce champ de recomposition automatique. La différence avec des musiques nettement tonales et métriques c'est qu'elles inventent des jeux de cache-cache et une posture nettement ludique vis-à-vis de la machine qui tente de recomposer quelque chose de musical à partir des signaux sonores.

. Dans la plupart de mes bandes audio l'enregistrement est une pure expérience qui ne rejoint aucun système métrique, aucune machine de recomposition. J'en appelle chez le spectateur à une activité de recomposition qui est celle que l'on trouve dans le champ des arts visuels. Et c'est bien une activité, dans la continuité de celle que nous établissons tous communément dans notre relation à notre environnement dans sa perpétuelle mouvance. La différence vraiment signifiante entre mes bandes audio et les divers stimulis déjà présents dans l'environnement de tout un chacun est que mes bandes contiennent un parcours, un tracé, un déplacement, un balisage, un guidage.

. Sur le plan des conditions d'écoute la simple lecture de ce signal représentant un guidage pose déjà une question qui est celle de la précision de lecture. Mais que pourrait être cette précision? Car l'écho, l'acoustique de cette chambre, prend le temps de passer par, de se faire rattraper par, une expérience consciente du vécu de l'écoute. La piste sonore ne cache plus son jeu car elle est processus. La chambre en retard distord une hypothétique ligne droite du temps. Les formes sont leur propre déformation.

Microcosme production-diffusion: produire et diffuser en même temps. Ici la production n'est pas un travail manufacturé. Quelque chose est produit par un dispositif qui, en même temps diffuse ce qui est produit.




Voyageons les systèmes(Edit)

Comment visualiser, se représenter et représenter un système, étant donné qu'un système ne rentre pas dans un champ visuel. Nous sommes vis-à vis de chaque système dans lequel nous nous trouvons comme nous serions vis-à-vis d'un bâtiment: difficile de se les représenter alors que nous y sommes et que nous en faisons partie. Les systèmes se font ressentir en tant que système sous forme de milieu, d'espace, au moment où ils se mettent à dysfonctionner. Tant qu'un système fonctionne comme prévu il se fond dans l'environnement et, aussi important soit-il, on n'en ressent pas la présence.

Couper pour voir

_il ne s'agit plus de faire. Tout est déjà fait. Tous se fait. Il y a déjà surproduction. Maintenant il s'agit de couper.

Plus il y a de production, plus il y a, de façon mécanique, de consommation. Et pendant ce temps-là les besoins demeurent insatisfaits.

_Le trucage repose sur le réalisme. Sans réalisme, pas de trucage. Le trucage n'est qu'une distorsion à l'intérieur d'une représentation réaliste. Mais cette distorsion produit un arrêt dans notre mouvement de spectateur vers ce réalisme. Ce trucage nous coupe de cette évidence de la représentation. Il nous coupe de ce fonctionnement représentatif réaliste.

_Pour faire exister quelque chose il faut couper un flux.

Les êtres humains ont beau se retrouver pris dans des systèmes ils n'en sont pas moins en lien direct et constant avec la réalité. Que se passe-t-il lorsque quelqu'un s'aperçoit qu'un système dans lequel il est impliqué se met à diverger d'avec la réalité, ou qu'il est lui-même une manifestation de la réalité qui diverge avec un système dans lequel il est impliqué?

Phénomènes de reprise de contact avec la réalité: une société à systèmes telle que la société occidentale laisse en permanence des personnes sortir des trajectoires, que celles-ci le fassent de façon volontariste ou d'une façon plus dilettante. Une dérive peut très facilement être l'occasion de rencontrer la réalité par divers aspects.

Idée-découverte

Comment une idée faisant partie du patrimoine culturel commun peut devenir une idée personnelle. Comment chaque personne peut faire sienne une idée de ce patrimoine commun?Il s'agit, pour chacun, de faire le lien entre les connaissances communes, apprises dans divers cursus scolaires, universitaires et de formations diverses, de lectures, et l'expérience sensori-motrice du quotidien. Par exemple, comment un apprentissage venant de la science physique se trouvant éclairer le phénomène de la fluctuation de pesanteur que l'on expérimente dans un ascenseur. Il s'agit, pour chacun de nous, de transformer un sens général en un sens personnel, de produire une occurrence personnelle d'un sens général.

. Une découverte apparaît dans un parcours pour la personne qui l'accomplit. Cela apparaît par rapport à un dispositif de réponses qui ne fonctionnent pas vis-à-vis d'une personne qui, de ce fait se trouve en suspens par rapport à sa sensation d'avoir des réponses concernant les questions qui lui apparaissent.

Glaner(Edit)

Les habitants

L’art après la création

Dans un monde de systèmes l'action n'est plus le seul mode d'existence et peut parfois se révéler contre-productive, ou tout simplement inconsistante. Il s'agit, en premier lieu, de prendre conscience du monde dans lequel on vit, certes, mais lorsqu'on adopte cette démarche on le fait généralement d'une manière segmentée, technicienne, et l'on perd alors la vision d'ensemble. Il s'agit ici de prendre conscience du monde d'un point de vue sensible. L'autre écueil à éviter est celui d'un repli sur l'affectif.

. Un acte qui contient actuellement un fort potentiel créatif est l'acte d'habitation. La création artistique étant actuellement à la portée de tout le monde, via les médias et la diffusion en masse des techniques et technologies, tant de production que de diffusion, l’artiste est devenu un habitant de formes qui existent déjà, laissant à d'autres le soin de fabriquer et de diffuser en masse ou de façon restreinte des formes réactualisées au rythme du marché.

. Les habitants, eux, ne créent pas autre chose que leur habitation. Ou, plus précisément, leur acte d’habiter. Ces habitations leur préexistent. Elles peuvent être tout-à-fait neuves, ou très anciennes. Mais elles ont déjà été pensées pour eux, au lieu qu’ils les pensent eux-mêmes. Leur tempérament de créateurs pourrait s’en trouver frustré, une autorité extérieure leur volant ce qui pourrait relever de leurs propres initiatives. Ils pourraient ressentir ce que ressentent parfois des adolescents auxquels on ne reconnaît pas la perspective d’un âge adulte. Mais leur tempérament parvient à se déployer dans les actes relativement anodins de la vie quotidienne. Il se loge dans l’acte même de consommer. L’artiste (ou post-artiste) tire parti d’un champ insignifiant, non-repéré par les lumières de la création à échelle médiatique. Parce que du fait de leur inertie systémique et la complexité à tous les niveaux que cela implique les médias ne réagissent pas pour encore à ces phénomènes dont il est pour encore hasardeux de rendre compte dans le langage. La véritable création se cache...du créateur lui-même. Elle se camoufle dans des actes anodins. Pour exister vis-à-vis du public sous forme d’actes elle s’insèrera ensuite dans des existences de type ambiance, utilisant « l’air du temps ». A ce stade c’est la tendance à l’auto-représentation des médias qui va lui être utile.

La pensée dans l'espace

Question d'environnement

Lors du passage de son diplôme d'art sanctionnant cinq années d'études Silvia Vendramel a produit une situation très curieuse: alors qu'elle était perçue unanimement par ses professeurs et par ses collègues comme une des personnes en mesure d'obtenir son diplôme d'une manière brillante elle a construit une situation ressemblant fort à un naufrage, à une contre-performance lamentable. En présentant son travail à un jury constitué d'artistes et acteurs de l'art elle a étalé une série de propos, remarques, descriptions, observations concernant une série de détails apparemment insignifiants. Mais rien d'apparent dans ses propos sur la raison pour laquelle elle faisait ce qu'elle faisait ni sur comment elle le faisait, d'autant plus que les pièces en elle-mêmes étaient assez peu conventionnelles, même en comparaison avec ce que l'on voyait couramment sur la scène de l'art contemporain. Un malaise a commencé à s'instaurer dans la salle, autant au niveau du jury qu'à celui des auditeurs, professeurs et collègues. Silvia a laissé la situation se dégrader jusqu'à ce qu'un membre du jury, excédé, lui demande énergiquement : « mais enfin, tu vas quand même pas nous dire que tu fais ça comme tu ferais du tricot?! » . A quoi Silvia a répondu: « ... si! » avec une sérénité désarmante.

. Silvia pratiquait la sculpture d'une façon bien particulière, très ancrée dans le rythme de son quotidien. Elle générait des pièces sur une durée de plusieurs mois en tirant parti des divers gestes, actions insérées dans son quotidien, pratiquées de façon quotidienne. Il s'agissait de travailler un peu chaque jour à des ouvrages aux satisfactions très modérées, très tranquilles. On aurait pu voir ses pièces comme des wagons avançant très lentement sur les rails de sa vie quotidienne qui, à proximité de sa vie artistique, comportait des activités qui en étaient apparemment l'antithèse, telles que: faire la cuisine, se promener, se baigner à la mer ou à la piscine. Il s'agissait en fait pour elle de faire de l'art au rythme de sa vie. Cette pratique de petits faits permettait à des sortes de « passager clandestins » de s'engager dans la fabrication de ses pièces, les rendant progressivement complètement inattendues et leur conférant une étrange radicalité.

. On est culturellement habitués à envisager le fonctionnement de l'esprit comme une progression linéaire de raisonnements. Pourtant, à côté de cette forme d'activité de la pensée il en existe d'autres, dont une qui se développe de manière spatiale. On peut considérer que pour certains de ses aspects l'esprit fonctionne dans l'espace, un peu comme s'il flottait dans un gaz dont il se nourrit. Qu'est-ce que pourrait être ce gaz? Ce sont divers objets courants qui constituent un espace. Ils n'ont pas de fonction particulière en ce qui concerne les habituelles techniques de la pensée. Ils constituent le lien entre la pensée des personnes qui y habitent et la réalité. Il s'agit de placer son esprit dans une situation qui tolère et accueille les instabilités de pensée. L'artiste est traversé par un dilemme: dans un sens il est comme tout le monde, dans la mesure où il donne une importance au respect, sous une forme ou sous une autre, des conventions sociales et culturelles du groupe humain auquel il appartient. Mais de l'autre il se laisse percevoir et penser à des choses qui ne sont pas intégrées dans sa culture. Il ne peut donc pas donner en partage des choses dont il est pourtant convaincu. Ainsi il opère une pression de rétention envers ce qu'il découvre, pour protéger son être social.

. L'artiste se trouve alors en relation directe avec une surface de projection, surface sur laquelle il projette ses images mentales. Dans cet espace aménagé comme hébergement de son activité de pensée tout sur le plan mental lui répond d'une façon optimale, complice. Il a besoin de cette situation idéale pour laisser apparaître des choses qui ne sont pas soutenues dans l'environnement social dans lequel il a à figurer par ailleurs en tant qu'être social. C'est un espace-bulle pour ses pensées, imaginations et visions. Aucun individu ne peut être en conflit continu avec le milieu dans lequel il vit. Nous entretenons tous, artistes ou non, des conflits avec notre milieu social et culturel. Nous nous aménageons tous des espaces, que nous appelons privés, dans lesquels nous nous retirons pour nous reconstituer, reconstituer nos forces psychiques. L'artiste, en plus de cela, se retire dans cet espace pour concrétiser, c'est-à-dire faire apparaître dans une réalité commune des visions inédites. Sa production ne vient pas de notre version socio-culturelle du réel mais du milieu singulier, a-social, qu'il a constitué.

. Or la création de ce milieu est une des phases fondatrices de l'action de l'artiste, bien que ce ne soit pas en soi la phase connue du public. C'est une phase transitoire mais nécessaire à laquelle l'artiste passe une grande part de son temps et de son énergie. Cependant une fois que cette phase transitoire tient une place effective dans le quotidien de l'artiste la phase de création pour le public a avancé de façon considérable. C'est-à-dire qu'une fois cette phase opérationnelle la réalisation d'œuvres d'art n'est plus qu'une question d'application de techniques. L'artiste ne fabrique pas: il nous fait visiter, dans le sens où les pièces qu'il présente sont des résultantes, des synthèses (au sens phytosynthèse, végétal, du mot) d'un ensemble de choses qui constituent son milieu.

. Sortant trop ou de façon prolongée de son élément de vie (à ne pas confondre avec le milieu artistique) l'artiste risque de se désintégrer. Cela se produit notamment lorsqu'il se déporte vers la technique. En tentant d'acquérir une puissance d'action qu'est la technique il se fond dans un corpus générique et ainsi dans un environnement dans lequel il ne peut pas durablement survivre en tant que lui-même.

. Cependant l'artiste doit renouveler son milieu de vie en y intégrant des éléments extérieurs, donc en allant à l'extérieur. L'expérience qu'il peut être amené à vivre dans le monde peut être en contradiction majeure et en conflit avec son milieu. Sa survie dans le milieu hostile qu'est le monde peut être menacée car ses pensées les plus volatiles peuvent être dissoutes dans d'autres vapeurs se trouvant dans le monde, ou plutôt dans la non-vapeur du monde.

_Zone intermédiaire entre le monde intérieur et le monde extérieur. Il est plus tangible que le pur monde de l'esprit. L'individu peut notamment y disposer un certain nombre de choses réelles qui peuvent produire un effet-miroir entre son esprit et ce milieu, ou encore, un effet pense-bête.

_l'idée de compost: L'ambiance créative peut venir de la constitution du sol. Les ratages passés et présents, en tant que entités dépérissantes, sont des constituants de la richesse du sol dans lequel des entités vont pouvoir puiser.

Processus promenade

La promenade n'est pas un temps de passivité. Elle est une organisation et une construction d'une zone de vide. Pour un être social produire une zone de vide est un acte dynamique et demande une certaine indépendance d'esprit. Le promeneur est une personne en quête, en recherche. La promenade est à la charnière entre pensée et expression. Elle est une danse individuelle et privée.

Contre-pouvoir du visiteur

Il s'agit de maîtriser son espace personnel, de ne plus laisser des pouvoirs occuper notre espace intérieur, de maintenir cet espace intérieur sans aucun pouvoir. Dans la recherche d'un équilibre entre mouvements extérieurs et mouvements intérieurs des visiteurs la promenade se positionne mieux que l'exposition. Dans le cas de figure de la promenade le visiteur ne se trouve pas en situation d'échec si jamais il ne parvient pas à comprendre les pièces qui lui sont présentées. Il ne se trouve pas projeté dans une situation d'angoisse ni de culpabilité. La promenade reste un jeu.

. L'espace par excellence de la promenade se trouve en plein-air, notamment dans les espaces de plein-air aménagés que sont les jardins (pourraient y être incluse la campagne dès lors qu'il y existe des chemins ou toute passage praticable sans équipements spéciaux). Peut-on se promener sous un toit, dans un bâtiment, entre des murs? Etant à l'intérieur d'un bâtiment il s'agirait alors de compenser la finitude manifeste des 6 plans de regard (murs-sol-plafond) par un champ d'ouverture. L'échelle requise pour que puisse se faire une promenade va du très grand à l'infini, échelle requise en tant que potentiel, et non pas en tant que distance effectivement parcourue. Les distances sont d'ailleurs définies bien plus par la perception que par les pas. Dans le cas du jardin le visiteur se trouve sur une minorité de perspectives perceptives finies, plans d'arrêt qui sont définis par le sol. La finitude de ce plan, en jouant comme support, contribue peut-être même à mettre en valeur l'infini des autres perspectives.

Un type d'architecture qui a considéré comme un enjeu majeur le fait de procurer un champ perceptif infini aux personnes qui y entrent est l'architecture religieuse monothéiste. Sur le plan visuel le tracé en courbes des voûtes est capital en cela, au sens où elles gomment l'existence d'un plafond, laissant les fidèles synthétiser mentalement un ciel en lieu et place d'une limite architecturale (la voûte se termine en pointillés). Sur le plan sonore l'infini apparaît d'une manière très différente, soutenu dans son apparition par un procédé qui ne trouve pas vraiment d'analogie en terme de définition technique d'avec ce que l'on a sur le plan visuel. La présence de l'infini, sur le plan du sonore, est amenée par un effet qui est la résonance.

Mais dans ce que nous apprennent les architectures religieuses monothéistes il n'est pas question de promenade. Pour établir la possibilité d'une promenade dans un bâtiment le son peut intervenir en relais du visuel, au sens où des arrêts (limites) visuels (les parois) peuvent générer des continuités, des prolongements indéfinis, du son. Le son est un phénomène basé physiquement sur un mouvement d'air, sur un mouvement donc, là où la lumière, de par sa formidable et indépassable vitesse, disparaît (autrement dit, n'a plus d'apparence) pour laisser place à ce qu'elle laisse voir.

. Considérons la promenade comme une manipulation, non pas au sens démiurgique mais au sens ludique, comparable à ce qu'un enfant opère en faisant expérience des réactions des objets qui se trouvent dans son environnement. La promenade, sur le plan visuel (et sans doute également sur le plan tactile), est une manipulation du lieu et de notre relation au lieu. Nous manipulons le lieu non pas avec nos mains mais avec nos pieds. Sur le plan sonore ce qui se rapproche le plus de la promenade c'est la manipulation. Il s'agirait alors de manipuler le son. Je vois dans les outils de travail du son tels qu'ils se sont développés dans la culture occidentale une très nette prédominance de la manipulation. Et je pense que dans la manipulation du son il n'y a pas que de la production, mais qu'il y a beaucoup de promenade. Ma bande-son Un Clocher est basée en grande partie sur la promenade, une promenade en vélo plutôt qu'à pieds.

. Cependant la différence d'échelle entre les mains et les pieds pour des bipèdes dans l'espace n'est pas sans conséquence sur la comparaison que j'engage. Les pieds au bout des jambes supportant le corps nous déplacent dans l'espace tandis que les mains nous mettent dans une position surplombante et totale par rapport à des entités d'une dimension inférieure à celle du corps. Dans une perspective de manipulation de l'espace les pieds s'avèrent lents, du moins sans une intervention spécifique de l'esprit qui nous fasse déformer et replier le plan du temps. Quand à l'immédiateté des mains sur les objets qu'elle manipule elle aboutit à absorber la distillation du temps.

. Dans la promenade on a deux choses qui gardent leur intégrité tout en se côtoyant: d'une part une désorganisation totale et qui demande à exister comme telle et d'autre part la formalisation d'un contenu relativement précis. Ces deux choses, bien qu'antithétiques, partagent un bout d'existence et se construisent mutuellement leur existence.

. La promenade est le contraire du montage. Dans le montage les divers éléments intervenant apparaissent dans un ordre spatial et (donc) temporel précis. Le montage est une piste qui suppose une tête de lecture parcourant un tracé précis.

Improviser(Edit)

C'est souvent dans des situations de crise que des choses déterminantes se passent et s'inventent. En effet, si il est question de remettre en cause des habitudes d'action la crise est une configuration de vie extrêmement porteuse. Car elle montre la faillite d'une situation.

Certains managers en industrie ont bien pris conscience du potentiel créatif de la crise. Et, en industrie, qui dit créativité dit valeur ajoutée. Aussi il es tentant pour un manager de provoquer les crises, notamment en mettant les employés dans des situations de stress, d'urgence, de malaise. Mais une crise ça ne s'instrumentalise pas. Ca submerge, et en l'occurence ça submerge autant les managers que leurs employés. Il faut l'accepter en bloc. Une vraie crise ne se commande pas. La crise surgit. Ce qu'il nous est donné de faire par rapport à elle ce n'est pas de la déclencher. C'est d'y réagir de la façon la plus ouverte possible. La crise est une occasion pour chacun de se rencontrer soi-même par un chemin qui nous est inconnu, de rencontrer ainsi une part ignorée de nous-mêmes.


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