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!!'''un bruit suspect''' ''ou l’électronique comme vecteur critique'' {html}<br>{/html} . L’apparition de l’électronique dans les différents champs d’activité humaine semble être un fait suffisamment marquant pour que certains courants musicaux se définissent par rapport à elle. Ces dernières années est réapparue l’expression "musiques électroniques", appellation antérieurement donnée durant les années cinquante, plutôt au singulier, à une branche de la création musicale relevant plus des musiques savantes que de la pop. Étrange chose que de nommer une esthétique musicale non par le sens qu’elle développe, ou par le projet qu’elle se donne, mais par les techniques qui la constituent, un peu comme le terme "fresque" est employé pour désigner les peintures murales, alors qu’il doit son existence à une technique historique d’exécution de peintures consistant à appliquer de la couleur sur un mur tant qu’il n’est pas sec. On pourrait penser que la technique intervient pour exécuter un projet, et non pas pour le définir. Le créateur abandonnerait-il ses prérogatives à une autre instance qui n’est plus artistique mais technique, simple technique de production ? Les machines seraient-elles devenues des artistes ? Mais sait-on vraiment d’où viennent les machines ? Ou plus précisément, de quel projet viennent-elles ? Dans certaines oeuvres de science-fiction on peut assister à la révolte de machines, qui se retournent contre les humains, leurs créateurs. {html}<br>{/html} {html}<a name="repro"></a>{/html} '''re-produire''' L’électronique n’a pas été introduite dans la musique pour se faire entendre. Ce qu’on lui demande c’est d’accomplir de façon docile, et sans bruit dans le cas de la musique, un ensemble de tâches relatives à la réalisation d’un projet musical pré-défini. Il s’agit alors de produire une nouvelle fois, dans un autre espace, dans un autre temps, quelque chose qui s’est produit de façon singulière dans un contexte donné. C’est que le son est un matériau qui, bien qu’ayant un indéniable impact sur le sensible, se comporte sur le plan physique d’une manière qui pose problème à notre système économique et culturel. L’électronique nous sert alors bien souvent à gommer certaines spécificités de la matérialité physique du son, spécificités que nous interprétons et comprenons souvent en terme de limites. Dans ce type d’approche, la technique n’est pas intégrée dans le projet artistique. Elle intervient en aval du projet, dans sa phase d’exécution et non dans sa phase de conception. Le projet artistique précède la mise en œuvre technique. Et en terme de projet ces deux étapes sont étanches l’une par rapport à l’autre. Le train artistique part avant que la technique n’ait le temps d’y embarquer. Si nous considérons la technique comme étant la manière de réaliser un projet, alors dans ce cas de figure cette manière de réaliser n’est pas remise en jeu, n’est pas réinventée. Dans ce cas de figure, la technique existe par présupposé, par une idée statique qu’on s’en fait. On part alors d’un point de départ qui est que sous certaines conditions de mise-en-œuvre elle va accomplir sans histoire la tâche qu’on lui assigne. Un projet artistique est alors élaboré, puis, dans un second temps, des techniques sont recherchées et missionnées pour réaliser ce projet. Dans le domaine du son, la technique est fréquemment chargée de re-produire, c’est-à-dire de produire quelque chose qui a déjà eu lieu dans un autre temps ou un autre espace, une autre échelle, une autre culture. Dans ce cas, elle tient le rôle de média : elle amène le son dans un contexte où se trouve l’auditeur, et où ce son, dans des conditions naturelles n’y est pas. Elle prête sa puissance à un pouvoir qui cherche à faire entendre un son donné en toute, du moins en un maximum, de circonstances d’espace et de temps. Il s’agit d’un acte de pouvoir qui dote certains sons, ceux choisis par l’artiste, d’une puissance spatiale et temporelle que le phénomène du sonore dans son état naturel n’aurait pas. Un son est jugé satisfaisant dans un contexte donné, alors que dans le même temps l’artiste juge qu’il manque certains attributs de puissance, d’occupation de l’espace et du temps à ce même son pour atteindre d’autres contextes. Il s’agit donc de conserver l’élément de départ tout en le dotant d’attributs de puissance, une sorte de "géométrie du pantographe", cet instrument très simple de graphisme muni de deux pointes dont l’une sert à suivre les lignes d’un dessin tandis que l’autre, traçante, reproduit ces mêmes lignes, mais multipliées en taille : la même figure, mais en plus grand. L’électronique ici est convoquée pour donner une autre échelle à un son déjà existant (déjà né d’un projet artistique) dans les proportions les plus exactes possible. Il est important que cette transposition se fasse à l’échelle, dans le plus grand respect des proportions. Il en va de la puissance de conviction de l’illusion, de sa capacité à faire croire qu’elle est autre chose que ce qu’elle est. Il faut en effet que l’illusion rappelle au maximum ce à quoi elle se réfère, autrement dit, qu’elle gomme son caractère d’illusion, qu’elle se fasse passer pour autre chose que ce qu’elle est. Car en tant que telle, elle n’est pas reconnue comme étant une entité musicale. Elle ne bénéficie d’aucun crédit par rapport à l’autorité musicale de référence, le système dominant de jugement. Son crédit, elle le tient d’un procédé de camouflage, quelque chose de quasi-optique, une simple surface des choses qui fait croire que derrière elle se trouve toute la richesse, déjà reconnue, de ce à quoi elle fait référence. Ici l’innovation technique va de pair avec la conservation artistique. Les technologies audio mises en oeuvre contribuent à produire une vaste entreprise de conservation, un musée de la musique. Les différentes normes de fiabilité, la Hi-Fi par exemple, agissent comme des labels de conformité. Ainsi, la gestion du son dans le champ musical a connu en un siècle des innovations manifestes, sans qu’y soient incluses de considérations artistiques. Le son, élément matériel constitutif de la musique, est un phénomène physique auquel la technique n’a cessé pendant un siècle de tenter de donner des caractéristiques qu’il n’a pas de façon naturelle. Sur le plan physique, la musique est composée de sons. Elle est donc tributaire, sur le plan matériel, des caractéristiques propres à ce matériau qu’est le son. Toute l’application de la technique va donc consister à étendre ce que la musique est déjà, mais en s’affranchissant de ses limitations matérielles. Ceci va se faire par une double transposition : du son en d’autres états matériels, puis de ces états matériels à nouveau en son. Ce processus va se complexifier, par rajouts successifs d’étages : mécanique, électrique, électronique, numérique. Dans son état naturel, hors de l’intervention des technologies électroniques, le phénomène du son peut être décrit comme une variation dans le temps de la pression acoustique. L’essentiel de l’exercice consiste alors à produire une variation dans le temps d’une tension électrique, variation qui soit proportionnelle à celle de la pression acoustique du son auquel on se réfère. On peut considérer l’électronique, dans son application audio, comme un monde en miniature, une transcription la plus fidèle possible à l’échelle électronique de phénomènes acoustiques. Un grand nombre de faits sonores peuvent y être reproduits sous forme de modulations de courants électriques dans le temps. De plus, modifier des signaux électriques en eux-mêmes conduit à obtenir des sons modifiés après que ces nouveaux signaux électriques aient été retransformés en sons par le biais d’amplificateurs et de haut-parleurs dans la phase de relecture. . Les divers procédés techniques mis en œuvre pour gommer les limites du son ont tendance à imprimer leur marque propre sur ce qu’on leur demande pourtant de transmettre de la façon la plus neutre possible. Les différentes étapes de transcription, mécanique, électrique, électronique, numérique viennent s’ajouter en ordre (tant historique que d’un point de vue technique) les unes aux autres, chacune étant sensée prendre le relais là où la précédente s’avère ne pas produire une illusion suffisamment convaincante. Par exemple, dans le cas du phonographe des bruits se surajoutent au son reporté sur le disque ; des limites de transmission apparaissent. Ces phénomènes sont relatifs au procédé mécanique de transcription du son. On va donc par la suite faire intervenir une étape d’électrification, puis d’électronique, pour aboutir à l’électrophone, instrument de lecture qui utilise la mécanique (la pointe de lecture suivant les minuscules aspérités présentes dans le sillon du disque) et qui passe immédiatement le relais à l’électricité, qui elle-même passe le relais à l’électronique. Du côté du créateur, l’irruption de l’électronique, en tentant là aussi de gommer au maximum les manifestations de sa présence, a fait apparaître des situations de travail radicalement nouvelles. Un espace de travail très particulier est apparu : le studio d’enregistrement. Cet espace s’organise autour d’un système d’enregistrement décomposé : le système multi-pistes, qui consiste en un dispositif sur lequel l’opérateur peut pratiquer plusieurs enregistrements indépendants les uns des autres sur le même support. Les différentes pistes enregistrées sont ensuite rassemblées par une manipulation, le mixage, qui fait apparaître les sons de chacune de ces pistes dans le même temps, groupées. Divers appareils périphériques servant à traiter les différentes pistes son sont utilisés pour accentuer encore cette vraisemblance. Afin d’affiner le travail de correction ( d’accentuation de la vraisemblance) sur un ensemble sonore on a inventé ce système consistant à produire chaque piste sonore (dans le cas d’un orchestre, chaque instrument) indépendamment les unes des autres afin de pouvoir traiter spécifiquement chaque son. Il est possible de faire se rencontrer des sons qui n’avaient pas été produits séparément, mais tout l’effort consiste à donner l’impression qu’ils ont été émis dans la plus grande osmose. Le studio multipiste est utilisé pour re-créer un orchestre à partir d’éléments séparés, mais de la façon la plus vraisemblable possible. Le travail de fabrication de la musique se scinde alors petit-à-petit en de multiples étapes qui ne tiennent plus ensemble que par l’évitement de la remise en cause du projet artistique qu’il sert. Le surajout d’étapes de transformation du son va en fait donner aux artistes de plus en plus de points sur lesquels ils vont pouvoir intervenir, des points de déstabilisation. Il reste alors à faire sortir de ses rails le projet relatif à l’application de l’électronique dans la médiatisation de la musique. {html}<br>{/html} {html}<a name="sign"></a>{/html} '''signifier''' En même temps qu’ils transitent majoritairement par le biais des médias les sons transitent également, et de fait, par une autorité esthétique, celle qui a formulé les règles canoniques de "qualité" de transmission du son. Car les médias n’ont pas, en eux-mêmes, de vision des choses, de projet, ne sont pas porteurs de sens. Leur vocation est d’adopter des projets qui les traversent, d’en adopter le sens. Mais cela va jusqu’à formuler sous influence un système de point de vue. Ils se reposent donc sur une autorité extérieure. Pour que l’électronique pose sa marque manifeste en terme de créativité, qu’elle nourrisse le projet artistique, il a fallu que des artistes s’affranchissent de cette tutelle sournoise. Il a fallu pouvoir faire de la musique sans justification extérieure, en se référant à un projet artistique inédit, se déployant selon des modes inédits. L’intervention de la technologie électronique produit des monstres sonores : sons-géants (amplification), revenants (enregistrement), sons-clones (copies d’enregistrements). Pourtant l’illusion semble opérer à un degré surprenant. Des transformations énormes du son ont lieu sans que cette énormité ne se manifeste à nos oreilles. Le son gonflé (amplification), transporté (câbles, ondes hertziennes), imité (synthétiseur), ressuscité (enregistrement-lecture), démultiplié (pressage), nous semble être le même que celui d’origine. Seuls se font entendre quelques restes bizarres que nous avons rapidement interprétés en terme de défauts, de déficiences, de limites. Physiquement, ces artefacts correspondent au fait que le phénomène physique dans lequel est transposé un son émet lui-même des traces de sa propre réalité objective. Nous embarquons des sons dans des "véhicules" de transmission, mais ces véhicules émettent leur propre son. Le projet de transmission se trouve parasité par des artefacts, des "défauts", des choses dont bon nombre de musiciens et de mélomanes se seraient bien passés (souffle de la bande, bruits de quantisation de conversion numérique, ronflements, "buzz", coupure de fréquences, etc.). Pourtant ces imprévus, ces sons et caractères sonores clandestins se trouvent être les points de stimulation d’un renouvellement du champ d’expression. . Pour tirer parti de ces intrus sonores une rupture est à opérer entre l’artiste et le groupe social dont il est issu. Car ce qui fait signe pour l’artiste ne le fait pas automatiquement pour le groupe. Pour ce dernier, les solutions déjà connues d’expression semblent suffisantes à saisir tout ce qui peut se présenter. Les phénomènes imprévus du système sont récupérés et intégrés en terme de "nouveauté". En général les individus intégrés dans le système ne souhaitent pas forcément se déporter par rapport au groupe social qui les intègre. Ils préfèrent étouffer la manifestation de ce qu’ils ont à dire, y compris les phénomènes sonores qui pourraient porter un message inédit. On voit comment un certain nombre d’artistes se rangent plus facilement dans des pratiques esthétiques répertoriées, au prix de l’exclusion d’un certain nombre de choses à signifier, pour se voir plus rapidement intégrés dans un corpus de l’art, par ressemblance, par intégration mimétique avec ce qui est déjà reconnu comme étant de l’art. Comment un individu opère-t-il une escapade par rapport au groupe social dans lequel il est immergé ? L’opération n’est pas évidente, quand on pense que l’artiste cherche simultanément à aller vers des découvertes et à présenter ces découvertes au groupe culturel auquel il se rattache, ces découvertes qui peuvent rentrer dans un rapport de critique de la conscience dominante du groupe. C’est une acrobatie dialectique que l’artiste effectue. Pour échapper aux différents jeux de contraintes dans lesquels ils se trouvent pris les artistes tirent parti de divers stratagèmes. On retrouve souvent le phénomène du prétexte qui est invoqué par l’artiste pour justifier, y compris vis-à-vis de lui-même, une position étrange par rapport à une autorité esthétique. La première vague historique marquante de la musique électronique, la musique allemande des années 50, est apparue dans le cadre d’une idée musicale bien précise qui consistait à faire de la musique sans passer par l’étape de l’instrument peut être considérée sous cet angle. Suite à l’irruption des mathématiques dans la musique ( dodécaphonisme, sérialisme) une interprétation mathématique de la musique a commencé à se développer. Cette conception de la musique s’intéressait beaucoup plus aux hauteurs tonales produites par les instruments qu’à leurs phrasés et autres nuances timbrales. Dans ce contexte, les générateurs électroniques, instruments sortis des laboratoires scientifiques semblaient mieux se prêter à ce travail que les instruments de musique traditionnels. L’électronique paraissait constituer un lien plus direct entre le projet du compositeur et sa réalisation que la traditionnelle étape de l’interprétation instrumentale. Ici l’électronique ne participe pas vraiment à la définition d’un projet artistique, puisque celui-ci est apparu dans un contexte instrumental traditionnel au début du 20e siècle. Mais elle apparaît soudain comme le point privilégié de réalisation de ce projet. Cette musique électronique va bel et bien alimenter une part non négligeable de ce que l’on peut entendre actuellement. Mais ceci va se faire par une faillite, par un échec dans la réalisation d’un idée de départ. C’est que les seules variations de fréquences de purs sons électroniques déçoivent leurs créateurs eux-mêmes. Les choses auraient pu s’arrêter là si la singularité timbrale et la puissance expressive paradoxale de ces sons n’étaient pas apparues à des compositeurs. L’échec du projet artistique dans sa réalisation leur donne tout loisir de se tourner vers des ressources insoupçonnées de l’électronique. . L’intégration de l’électronique dans la définition même du projet artistique exige un passage par un acte qui est proche de l’iconoclasme, d’une certaine inconscience, d’une certaine grossièreté. L’acte de faire entendre l’électronique fut, et reste en lui-même iconoclaste par rapport à la pensée qui anime l’activité de développement de l’électronique musicale. Dans le cas de l’utilisation de l’électronique dans la musique, précisément de par le fait des facilités, des souplesses de mise en oeuvre et autres réductions (relatives)1 de coût, des personnes se sont trouvées projetées dans une activité de pratique musicale sans être passées par un corpus ou un apprentissage, sans avoir été prises en tutelle par une autorité régissant leur activité musicale. Le novice se trouve, passée l’étape de cette apparente facilité, projeté dans un espace inconnu dans lequel il doit évoluer et dessiner son propre parcours. De plus cette situation n’est pas vraiment répertoriée dans les repères et systèmes de reconnaissance habituels de comportement qui ont cours dans la musique ou dans un autre champ de la création esthétique. On peut considérer les personnes projetées de cette manière dans cette situation d’action sonore comme des créateurs orphelins qui doivent tout d’un coup produire et mettre en œuvre leur propre intelligence de survie. Les arguments marketing jouent ici un rôle de déracinement, phénomène violent dont les victimes les plus créatives sauront cependant tirer parti. Projetés dans une situation de recevoir sur le même plan et sans hiérarchie tout ce qui leur arrive d’un point de vue sonore, sons prévus, autant que artefacts "indésirables", ces artistes inattendus ne sont pas en position de faire la part des choses en fonction d’un système de valeur. Ils surgissent dans une activité artistique non pas par le biais d’une autorité mais par celui d’un argument qui prétend, le temps de vendre un produit, qu’il n’y a justement plus besoin de passer par un corpus pour être instruit de ses méthodes et de ses valeurs pour faire de la musique. Cette situation peut aboutir sur une impasse, ou bien sur l’édification d’un système musical d’une créativité surprenante. Formulant leur propre vision de l’art des artistes vont tirer parti d’artefacts, de ce que d’autres interprètent en terme de défauts, de parasites et autres choses indésirables. Ici c’est la nature du projet artistique qui se distingue nettement de l’approche classique. On voit se manifester un positionnement complètement différent de l’artiste par rapport au modèle. Dans le système classique le modèle est étroitement lié à une autorité, se manifeste en terme d’autorité. Et dans ces conditions l’artiste ne s’autorise pas le loisir de se laisser distraire par des artefacts. Il doit soumettre la technologie à une pensée de l’art qui pré-existe à celle-ci. A contrario l’artiste, au moment où il s’autorise une initiative singulière sans se reposer sur la justification et l’autorité de choses pré-définies, se trouve en position de recevoir et d’écouter sans a priori tous les sons qui lui parviennent, autant les "mauvais" que les "bons". Les artefacts, les sons "en plus", non-prévus, non-reconnus par un système d’expression recèlent un potentiel d’expressivité à part entière. Ce potentiel est ignoré par la posture classique, qui, étant déjà intégrée dans un système, ne ressent pas le besoin de développer de nouvelles expressions. La posture classique pratique le lifting pour se réactualiser. Mais elle ne peut pas s’autoriser la remise en cause, la reconstruction, de ses propres bases. Mais l’électronique n’est pas non plus une entité artistique en soi. Les robots ne sont pas des artistes. L’électronique est un facteur de renouvellement de la musique, mais elle ne l’est que de façon conjoncturelle, dans un contexte historico-culturel donné, de par le déséquilibre qu’elle y provoque. Son irruption dans le champ musical peut être vu comme un coup de pied dans la fourmilière. Mais les choses retrouvent leur stabilité, en intégrant s’il le faut les éléments perturbateurs. Bien qu’elle ait pu être surprenante lors de son apparition ce qu’on appelle la musique électronique n’est actuellement plus en soi une ouverture du champ d’expression. Le déséquilibre provoqué par la surprise du nouveau a été compensé. Des systèmes de valeur, des grilles de jugement, des recettes sont apparues au fil de l’acceptation de ces musiques dans notre champ culturel. Intégrée dans un nouveau classicisme, la bulle de créativité est crevée. L’innovation d’hier rentre dans le patrimoine d’aujourd’hui. Un certain nombre des artistes choisissent de se faire reconnaître en colportant du patrimoine. On peut dorénavant entendre un courant rétro de la musique électronique, rejouant les innovations sonores des années soixante et soixante-dix dans le sens d’une imagerie sonore de l’ordre de la science-fiction désuète, ou d’orchestrations faussement avant-gardistes de la chanson de l’époque, prenant soudain de nets accents rétro très appréciés par certains publics. L’électronique n’intervient plus alors en tant que principe dynamique mais en temps qu’imagerie sonore. Le principe dynamique se développe alors éventuellement dans le rapport au phénomène de l’imagerie, mais plus de l’électronique elle-même. L’un des récents avatars de ce phénomène d’intégration de la musique électronique dans le corpus musical général s’est incarné dans une systématisation du "défaut", de l’erreur, dans une mise en scène de l’inattendu. On a ainsi pu entendre, dans tout une vague du courant Electronica notamment, des sons provenant d’exagérations d’approximations technologiques : souffles de bandes magnétiques, bruits de quantisation de convertisseurs numériques, craquements amplifiés de vinyles, etc. Les constructeurs de machines destinées à la création de musique électronique intègrent dans leurs produits des fonctions chargées de produire des "accidents" à différents stades du travail de création musicale. Une fois le nouveau champ formel reconnu par un groupe socio-culturel donné les innovations sont intégrées dans une systématisation. Il en est ainsi du culte du défaut, de l’erreur, du hasard. . Parallèlement à toutes ces tentatives de dénomination et d’identification de phénomènes esthétiques, auxquelles participe cet énoncé de "musique électronique", se développent des pratiques musicales et sonores qui font abondamment appel à l’électronique, mais d’une façon moins directe, moins explicite. Les techniques électroniques y sont prises en compte dans la formulation de projets artistiques. L’électronique elle-même rentre dans la pensée du projet. Le cas de la musique expérimentale est assez emblématique à cet égard. Cette approche musicale se comporte avec l’électronique comme avec bien d’autres phénomènes, intégrant dans la musique des choses qui n’ont pas été conçues comme telles et qui n’avaient rien à y faire a priori, des choses non-musicales. Les musiques expérimentales ont, en bien des circonstances, développé des approches obliques de phénomènes qui ne leur étaient pas destinés, posant des questions là où semblaient s’être imposées des évidences inamovibles. Plus qu’une inconscience et une naïveté, c’est une conscience et un mouvement délibéré vers le bizarre (en terme de style) ou vers l’inconnu (en terme de problématique), qui amène les artistes évoluant dans ce champ de la création a accueillir, voire à aller à la rencontre de ces artefacts bannis d’autres sphères musicales. Dans ce cas l’électronique n’apparaît plus de façon flagrante, comme imagerie d’elle-même. Elle intervient plus en profondeur, comme un des éléments de redéfinition de l’art. . Et petit-à-petit, c’est la délimitation entre art et technologie en elle-même qui se révèle être remise en cause. Nous devons l’invention du premier procédé d’enregistrement à un homme qui en plus d’un inventeur était aussi un poète, dont l’œuvre littéraire influença les surréalistes par exemple. Quelles utopies, quels imaginaires ont conduit Charles Cros à faire ressurgir des sons d’une mécanique ? Dans la « révolte des machines » l’être humain n’entend finalement peut-être pas autre chose qu’une part de lui-même, un recoin de son propre projet. {html}<br><br><br><br><br><br><br><br>{/html} {html}<a name="lampli"></a>{/html}
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