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luc kerleo
!!mise en pieces {br} {br} '''mise en pièces''' « Ces sons, tu les as enregistrés? ». Cette question m'a souvent été posée concernant mon véhicule personnel dans lequel j'avais placé des micros de contact sur des pièces mécaniques afin d'amplifier et de donner à entendre des sons qui habituellement sont difficilement audibles parce que recouverts par le bruit prédominant des explosions dans le bloc moteur et en sortie du pot d'échappement. Oui, j'avais procédé à une petite expérience qui consistait à enregistrer sur un trajet d'environ un quart d'heure les sons provenant d'organes mécaniques tels que : vase d'expansion, ressort d'amortisseur, mécanisme de direction, commande de boîte de vitesse, servo-frein. La seconde partie de l'opération consistait à écouter l'enregistrement, c'est-à-dire à écouter les sons non pas via le système audio de l'habitacle du véhicule, situation dans laquelle je les donnais à entendre en temps normal, mais en-dehors de celle-ci, dans une situation spécifique d'écoute. L'expérience sensible se révélait alors ne pas avoir grand-chose à voir avec celle de départ. C'est que le véhicule amplifié est un acte qui avait été pensé comme quelque chose qui prenait place dans une situation, dans un contexte assez précis qui est le déplacement d'une ou plusieurs personnes dans un véhicule sur le réseau routier. Ce qui constituait la proposition artistique se révélait être un fait spécifique dans un contexte précis: des bruissements mécaniques d'un véhicule particulier amplifiés et diffusés dans l'habitacle. Outre le fait qu'il était nécessaire pour que les organes mécaniques amplifiés vibrent afin que les micros de contact captent quelque chose le fait que le véhicule soit en mouvement participait à la synthèse de la proposition artistique. Le son n'était qu'un aspect d'une situation d'ensemble dans laquelle le déplacement dans l'espace était central. Il ne s'agissait pas tant de produire quelque chose de sonore qu'une distorsion d'expérience du quotidien. Le son n'était qu'un sens parmi les autres dans un travail qui fonctionnait de façon pluri-sensorielle. Concrétiser mon action sur le plan de ce qui était donné à écouter n'était rien de plus que la façon la plus percutante que j'avais trouvée de transformer de façon marquante une expérience du quotidien. Cette pièce était sa propre situation de présentation : le travail et son expositions étaient une seule et même chose. Une situation banale – le trajet d'un véhicule particulier – devenait une expérience singulière par distorsion de l'environnement sonore dans le déplacement du véhicule dans l'espace routier. Les passagers, embarqués pour un trajet, devenaient les spectateurs. {br} Le son dans le champ de la création est le plus souvent sous-entendu comme relevant des arts médiatiques. La destination essentielle des créations sonores serait les médias. L'immense majorité des travaux de création se conforme en effet à des formats médiatiques : disque, diffusion radio, etc. La stéréophonie est la base technique de cette architecture de type médiatique. Or je pense que mon activité ne requiert pas d'exister via des médias. C'est une activité qui ne se structure pas dans l'optique d'un passage dans un système médiatique. Il s'agit de faits bruts, qui ne supposent pas une retranscription dans l'espace et/ou le temps. >les médias interviennent comme matériaux dans mon activité (pensée que je précise notamment dans mon texte un bruit suspect). {br} Dans plusieurs de mes pièces je travaille avec des générateurs sonores autonomes, non-synchronisés les uns avec les autres que je dissémine dans l'acoustique d'un lieu. Les technologies audio actuelles se révèlent dès lors peu appropriées à une bonne part de mes travaux. Je développe alors ma propre technologie. Pour chacune de mes pièces je construis un dispositif, une sorte de microcosme technologique qui comprend généralement un ou plusieurs générateurs de sons qui sont branchés sur autant d'amplificateurs et qui alimentent autant de haut-parleurs. Dans cette partie de mes travaux ni enregistrement ni stockage de données audio n'est utilisé. Les signaux que mes machines produisent en direct ne sont pas complexes comme dans le cas des équipements audio, mais élémentaires. Il s'agit souvent de fréquences pures et de signaux tels que l'on en trouverait plutôt dans des laboratoires d'acoustique. {br} C'est sur la question de la situation spatiale des spectateurs que je vois un lien de ressemblance assez direct entre la stéréophonie et l'espace cadré du tableau classique. Dans l'un comme dans l'autre il est question d'un point central de perception: le spectateur devant se placer en face du tableau pour percevoir la construction de la perspective, dans le cas de la peinture classique; l'auditeur devant se placer au centre d'un système d'écoute stéréophonique ou multiphonique dans le cas d'une écoute d'un enregistrement. {br} '''aux alentours de la mise au point''' Lors de ma première année aux Beaux-Arts j'avais aménagé dans mon appartement un environnement pour une pratique soutenue de peinture. J'utilisais des supports de récupération et des couleurs acryliques industrielles pour pouvoir mener mes expérimentations en quantité et au rythme auquel mes réflexions me demandaient de peindre sans avoir à me préoccuper d'une quelconque limite matérielle. Je passais progressivement d'une approche figurative assez graphique, une sorte de dessin au pinceau sur moyen format, à des surfaces entièrement occupées par des nuances de couleur, ou encore, des systèmes répétitifs de traits, taches, bandes noires ou colorées. J'expérimentais des nuances de densité, de luminosité. Je laissais progressivement tomber la composition picturale au profit du rapport de l'espace des peintures avec l'espace du lieu de travail. Je ne m'intéressais plus tant à ce qui se passait entre les différents éléments intervenant dans une peinture qu'aux relations entre celle-ci et l'espace dans laquelle elle se trouvait. Je me rendais attentif à la façon dont une peinture entrait et sortait du champ visuel, à la façon dont elle circulait en périphérie de ce champ, à ce que je ressentais en marchant dans cette petite forêt de peintures. {br} '''bas-relief''' En démontant le système technologique d'un magnétophone à cassette stéréo en vue de le réparer je m'étais aperçu que celui-ci comportait deux pistes nettement séparées, un peu comme deux magnétophones siamois. J'entrepris alors de rendre autonomes ces deux pistes afin de pouvoir enregistrer indépendamment sur l'une ou l'autre d'entre elles. Ce système double que l'on retrouve dans tous les équipements stéréophoniques a pour fonction de modéliser notre perception binaurale qui est basée sur le fait que, nos deux oreilles étant éloignées d'environ 17 centimètres l'une de l'autre nous percevons un relief sonore dans notre environnement acoustique courant. De par ce léger décalage dans l'espace chaque source sonore qui se manifeste dans l'espace acoustique nous parvient d'une façon légèrement différente à chacune de nos oreilles, différence de volume, de temps, de spectre, etc. Partant de cette donnée j'ai entamé tout un cycle de création de bandes son dans lesquelles j'introduisais des différences entre les deux pistes de mes bandes stéréophoniques, allant même jusqu'à créer chaque piste totalement individuellement l'une de l'autre pour ne les réunir que dans la dernière étape de travail, celle de la lecture. Dans un premier temps j'ai travaillé à générer des effets de stéréophonie les plus poussés possible. Cela impliquait que le contraste entre les deux pistes reste dans des limites, notamment que chaque piste soit le miroir tout au plus déformé de l'autre. Puis j'ai franchi les limites de la cohérence stéréophonique, produisant des expériences sonores monstrueuses. J'ai beaucoup travaillé à construire des espaces stéréophoniques dont je poussais les sensations de relief à l'extrême en poussant les décalages entre les deux pistes aux limites de la cohérence stéréophonique que peut reconstituer l'écoute. Lors de mon cursus aux Beaux-Arts, dans le cadre d'une journée de formation à la prise de son j'ai eu l'occasion de faire écouter à l'intervenant, ingénieur du son de son métier, une de mes bandes. Il a tout de suite été frappé par la distorsion de la stéréophonie deux sons quasi-désynchronisés entre la droite et la gauche et quasiment aucun son au centre. Le phénomène de relief de la stéréophonie commençait pour moi à sortir de son cadre. La stéréophonie devenait comme un modèle réduit de l'espace acoustique réel. Il ne s'agissait plus de créer un espace qui soit réaliste mais pur phénomène de relief poussé à l'extrême. Mais c'est alors que le relief craquait et devenait espace. >A l'examen de fin de première année d'école d'art j'avais présenté une diffusion simultanée sur deux enceintes de deux sons totalement différent l'un de l'autre, comme une double diffusion. {br} '''friche''' Lors de l'exposition de fin de cursus de beaux-arts je me suis trouvé en situation de devoir ré-évaluer les formes que j'avais élaborées jusqu'alors. Auparavant pendant une période d'environ deux ans je m'étais acharné à faire apparaître de l'espace à l'intérieur même des bandes-son et j'avais d'ailleurs obtenu des résultats intéressants et instructifs en ce qui concerne la capacité de l'écoute à pouvoir faire appel à des expériences spatiales du quotidien et de basculer ainsi dans une richesse spatiale à partir de stimulations sonores les plus réduites possibles. Mais ces bandes étaient destinées à une écoute en situation d'isolement sonore (casque stéréo, auditorium, installation hi-fi domestique). Or voici que je me trouvais dans la situation d'un espace physique occupé de façon collective et pas du tout aménagé pour une projection sonore. Je devais trouver une solution pour présenter une pièce dans une situation dans laquelle deux pré-requis manquent à une présentation d'une bande-son, ces pré-requis étant le silence d'une part et le positionnement des oreilles de l'auditeur dans un placement équilibré entre les deux haut-parleurs de la stéréophonie d'autre part. Dans ce genre de situation les formes visuelles et en dur se trouvent de fait privilégiées car elles bénéficient d'un long passé de d'ajustement mutuel entre elles-mêmes et la situation d'exposition. Depuis que ce genre de pratique existe les architectures, équipements et aménagements dédiés aux expositions se sont développés pour répondre aux besoins de la présentation d'œuvres d'arts visuels aux visiteurs. Par contre du fait de son apparition en tant que matériau artistique dans les expositions le son n'y trouve pas un terrain matériellement neutre. Notamment les salles d'exposition sont généralement très réverbérantes et les sons émis par des œuvres se trouvent modifiés par l'importante résonance acoustique qu'ils provoquent dans le lieu. L'autre obstacle consistait en une impossibilité de placer les visiteurs au sommet d'un triangle dont la base se trouverait entre les deux haut-parleurs, comme cela est le cas par exemple dans un auditorium. En effet pour mettre au point un enregistrement les ingénieurs du son travaillent généralement à équilibrer des sons entre les deux pistes. Et cet équilibre est conçu en partant du principe que chaque auditeur se trouvera à égale distance des deux enceintes d'un équipement stéréophonique. Or dans une exposition collective un même espace est généralement partagé entre plusieurs exposants. Ce partage, lorsqu'il est opéré de façon sensible, créative et intelligente constitue d'ailleurs un aspect stimulant de l'exposition. Les visiteurs déambulent dans l'espace avec une relative liberté et construisent eux-mêmes leur point de perception des œuvres. Dans ces conditions il était vain que je travaille un enregistrement stéréophonique qui serait restitué de façon totalement déséquilibrée dans un espace d'exposition. Je me trouvais dans la même situation qu'un peintre classique dont la toile ne serait présentée que de biais aux visiteurs, ce qui en détruirait la construction perspective, produisant une anamorphose. Et c'est justement le phénomène de l'anamorphose qui m'a inspiré. En vue de mieux comprendre ce qu'est l'espace je me suis amusé à distordre un des systèmes qui le représente. >J'ai réalisé une série de petits enregistrements audio faits de prises de son stéréophoniques dans différentes situations de la vie quotidienne dans un système d'écho qui répétait le signal au point d'arriver à une saturation totalement bruyante qui finissait par diminuer en intensité et s'éteindre progressivement dans le silence. A la diffusion j'inversais le sens de ces bandes de façon à ce qu'on entende un bruissement s'installer, gonfler progressivement jusqu'au bruit, que ce bruit se décante progressivement afin que l'on puisse entendre ce qui le constitue. Cette pièce, diffusée sur un système stéréophonique, fonctionnait sur un passage d'une perception lointaine à une écoute frontale, passant du comportement de sculpture dont la forme évoluait sur quelques minutes à un environnement virtuel dans lequel on pouvait s'immerger comme face à un écran diffusant une vidéo à effet 3D. La série {br} '''décortiquer l'espace''' Dans 1/25000, pièce conçue et réalisée à l'occasion de mon exposition à La Station à Nice en 1996, j'ai démultiplié un enregistrement stéréophonique d'une ambiance dans un bar en une quinzaine de points d'émission par groupe de fréquences. La lecture d'un enregistrement était spatialisée mais sur un mode bien spécial: le signal était séparé et décomposé par des filtres de fréquences puis acheminé dans l'espace d'exposition par groupes de fréquences situés en différentes zones: les sons aigus diffusées en un point, les extrêmes graves en un autre, les bas médium encore ailleurs, etc. Les systèmes de spatialisation conçus par des ingénieurs de l'industrie audio-visuelle (hi-fi, sono) ont pour fonction de reconstituer dans un espace acoustique réel un autre espace, uniquement sonore. Au contraire dans cette pièce la diffusion sonore ne se surajoute pas au lieu. Elle crée un phénomène sonore spécifique qui ne recherche pas la cohérence avec une référence acoustique réelle qui se trouverait ailleurs que dans l'exposition. >faire expérience d'une anamorphose spatiale : une cohérence spatiale insérée dans la cohérence spatiale concrète {br} Lors de mon exposition au Caméléon (Erratum, Besançon, 1998) j'ai utilisé une douzaine de walkmans lisant chacun une cassette différente. Ayant enregistré séparément les deux pistes de chaque cassette je me retrouvais alors avec deux douzaines d'enregistrements diffusés simultanément. La diffusion dans l'espace se faisait par vingt quatre haut-parleurs miniatures répartis tout autour de la salle légèrement au-dessus de la tête des visiteurs. L'ensemble produisait un bruissement aigu audible comme bruit de fond dans le lieu. Le son diffusé par chaque haut-parleur devenait audible indépendamment pour le visiteur qui s'en approchait. La distance vis-à-vis des haut-parleurs déterminait le passage entre deux apparences de la sculpture : on passait du nuage bruissant à une miniature sonore. C'est un travail qui portait sur la façon dont la perception assemble ou désassemble un même ensemble de signaux. >jeu de montage-démontage, les sons et leur synthèse {br} '''arpenter un temps''' Un Clocher (label Kaon, Limoges, 1998) est une bande stéréophonique dans laquelle on a trois exemples d'un système dans lequel un seul son se trouve démultiplié un grand nombre de fois dans le temps et dans l'espace de la stéréophonie. Je travaille ainsi à constituer une situation qui puisse s'arpenter par le jeu de l'écoute. Je n'aborde plus le temps comme une ligne mais comme une étendue. De façon générale je conçois celles de mes pièces qui se présentent sous forme d'enregistrements comme des choses qui demandent à être répétées, relues, écoutées et ré-écoutées, parcourues. Je crée des territoires dans lesquels on puisse mentalement se promener. La construction dans le temps n'y existe pas pour elle-même mais pour générer un espace. Le temps est celui du déplacement. Je cherche à produire un temps ralenti de façon à ce que les spectateurs puissent détacher leur écoute du présent immédiat et acquièrent des degrés de liberté par rapport à ce qui apparaît dans le temps de l'enregistrement. {br} '''en marchant''' Je ne voulais plus contribuer à cadrer les comportements humains par un mode d'emploi de l'écoute. Je me suis intéressé aux errements de la pensée. Dans le cadre d'une exposition personnelle J'avais, de plus, et contrairement aux suggestions des personnes en charge du lieu, pris bien soin qu'aucunes rangées de chaises mimant l'auditorium et suggérant l'écoute ne soient disposées dans la salle. Le photographe a été dérouté lorsqu'il lui a fallu procéder, comme il était d'usage pour chaque exposition, aux prises de vues. Suite à un incident technique avec son matériel il a été question qu'il refasse des photos mais entre temps l'exposition, arrivée à la fin de sa période, avait été démontée, laissant la salle vide avant le montage de l'exposition suivante. Et c'est ainsi que pour cette deuxième séance, la bonne, il s'est retrouvé à prendre en photo un lieu vide. Protection N°8 (La Box, Bourges, 2000) est une exposition dans laquelle l'espace est vide de toute intervention visuelle. La présence plastique y est exclusivement sonore. J'avais disposé plusieurs sources sonores autonomes les unes des autres. Cet ensemble, en cohabitant dans une même acoustique, formait un environnement. Il n'y avait pour ainsi dire « rien à voir ». Il n’y avait pas de rangs de chaises ni quoi que ce soit pour s'asseoir dans mon exposition pour privilégier les déambulation des visiteurs, leur promenade, et en tirer parti. Des chaises auraient nié la forme de et dans l'espace qu'adoptait cette exposition. La station debout est une position réceptive plus ouverte que la position assise qui, elle, assigne le visiteur à un placement bien précis dans un lieu. L’un des caractères du travail présenté est qu’il est sonore. Si je dispose des chaises dans l'espace j’instaure une convention d’écoute qui vient de pratiques artistiques qui ne sont que sonores, où le son n’est pas un choix. Or dans ma pratique au sein des arts visuels le son est déjà, en lui-même, un choix. >Je choisis un matériau instable pour me concentrer sur une construction à un autre niveau que matériel qui est une construction mentale. Face à une proposition plastique la marche est la position active de l’être humain, c’est-à-dire sa position d’autonomie, la position comportant le plus de potentiel, le plus d’ouvertures possibles quand à la réaction qu’il peut avoir par rapport à ce qui lui est présenté. Le corps est un outil de découverte. On place sa perception dans l’espace au moyen du corps. - {br} '''dessiner dans le plein''' Pour moi, dans le champ du visuel, le son intervient par indices. Contrairement à ce qui a cours dans la tradition occidentale des arts faisant intervenir le son je ne travaille pas dans le silence. J'insère mes sons dans le bruit ambiant. Invité à faire un workshop à la Villa Arson à Nice j'ai mis en route une sirène dans la salle dans laquelle j'avais demandé aux étudiants de réunir du matériel. La sirène fonctionnant sans discontinuer et envahissant l'espace acoustique agissait comme l'aurait fait un carrefour envahi de véhicules dans une grande ville à une heure de pointe. Je demandais alors aux participants au workshop de poser des actes qui puissent trouver une existence dans cette bulle déjà sonore. {br} Lors d'une évaluation durant mon cursus d'études j'avais présenté une performance qui consistait à m'enfermer dans ma chambre d'étudiant durant toute la durée des examens et à ne faire apparaître de mon travail que des sons retransmis par liaison filaire dans une salle de type salle d'exposition à usage interne à l'école d'art. Préparant cette performance je m'étais rendu compte combien la réverbération de cette salle rendait inintelligibles les sons que j'allais diffuser dans ce lieu. J'avais alors précipitamment entrepris de diminuer la réverbération, la résonance, en recouvrant les murs de la salle d'épais rideaux de velours. La réverbération avait quasiment disparu, rendant les sons sortant des enceintes beaucoup plus distincts. Mais la répercussion visuelle de cette transformation acoustique modifiait radicalement l'apparence du lieu, transformant une salle aux murs blancs en un endroit qui prenait des allures de chapelle. Réagissant à cet effet qui m'avait complètement surpris je me mis à envisager de travailler avec les lieux tels qu'ils existent en eux-mêmes, tant sur le plan visuel qu'acoustique. Je prenais alors le parti de travailler avec les lieux tels qu'ils existent et pour ce qu'ils sont, cela quel que fût la déformation qu'ils opéreraient sur les sons que j'y diffuserais. Et pour vivre cela dans une posture active je prenais en considération ces déformations en elles-mêmes dans la conception de mes projets. Lors d'une soirée de musique expérimentale j'ai présenté une performance basée sur la lecture d'enregistrements très brefs entrecoupés de longs silences. J'étais dans le public, orienté à quatre-vingt-dix degrés avec un ordinateur et des enceintes de sonorisation orientées elles aussi perpendiculaires au public. En cliquant sur un point représentant un fichier j'en déclenchais la lecture, courte lecture qui ne durait pas plus de quelques secondes. Puis je laissais quelques dizaines de secondes s'écouler avant de déclencher la lecture d'un autre son. Par un rapport entre les fragments sonores et les durées de silence je cherchais à produire une conscience de la situation concrète de la salle de concert, à redonner une existence concrète à cette salle et au fait que des gens s'y trouvent. {br} '''le distributeur''' Les contextes d'exposition très particuliers ont à plusieurs reprises agi chez moi comme des stimulants et déclencheurs de nouvelles idées. Un des gestes récurrents encore à l'heure actuelle dans ma pratique et qui consiste à concevoir des pistes sonores très courtes diffusées entre des périodes de silence s'est révélé pour moi lors d'une exposition collective qui avait pris le parti d'une forme de type caverne d'Ali-Baba. Il s'agit de 49F90, exposition qui a pris place à Nice Fine Arts, lieu d'exposition indépendant géré entre autres par Axel Hubert et Noël Dolla. Venant de deux artistes très attentifs aux intéractions entre les lieux d'exposition et les œuvres qui y étaient exposées l'idée relevait d'une adresse à saisir de façon claire et efficace le potentiel d'une situation de contrainte financière. L'initiative de cette exposition partait d'une donnée très triviale: vendre chacune des œuvres exposées pour un prix 49 francs et quatre-vingt dix centimes afin de récolter de l'argent pour payer le loyer du lieu. J'y ai présenté un « distributeur », un boîtier blanc muni d'un casque d'écoute stéréophonique qui donnait à entendre 5 secondes d'un enregistrement chaque fois qu'on y glissait une pièce de vingt centimes. La durée totale de l'enregistrement était définie de façon à ce qu'une personne introduisant la somme totale de cinquante francs en pièces de vingt centimes entendrait la durée totale de celui-ci. Dans cette petite salle aux allures de bazar surchargé l'audition en isolement de cinq secondes d'un espace sonore étranger (venant d'un enregistrement) produisait un effet de basculement, une coupure-éclair par rapport au bruit visuel et sonore environnant. Du fait notamment de la coupure provoquée par le port du casque, ainsi que de la stéréophonie le son diffusé par le distributeur recouvrait le son ambiant de la salle d'exposition tandis que l'environnement visuel réel prenait l'allure d'une image. Mais cela se volatilisait très rapidement après être apparu. {br} Attitude qu'on pouvait sans doute déjà deviner lorsque j'avais commencé à exposer du son dans la réverbération des salles d'expositions Je me connais un certain enthousiasme pour les collaborations avec des organisations qui mettent en place des contextes inattendus et expérimentaux de présentation de pièces d'artistes, qui parviennent à faire exister le travail des artistes dans des contextes inédits. Dans plusieurs villes d'Europe l'organisation ERGO avait investi des laveries automatiques comme lieux d'exposition. Invité à présenter un travail dans une de ces laveries j'ai créé un environnement sonore intermittent dans lequel des groupes de fréquences pures modulées se relaient et se chevauchent sur une durée d'une quinzaine de secondes à intervalles d'environ deux minutes. >périodiquement une escadrille de sifflements se promenaient furtivement dans l'espace d'un lieu pratiqué de façon temporaire par des gens qui n'étaient pas venus pour voir de l'art mais pour laver leur linge. Un lieu particulièrement solidement ancré dans le quotidien devenait furtivement bizarre. Des volumes sonores qui n'avaient rien à voir avec la situation se frayaient furtivement un passage dans une situation très standardisée. {br} Utiliser des supports standardisés pour les détourner dans un champ d'application moins conventionnel rejoint également ce goût pour l'abord de situations avec l'œil d'un explorateur en contrée nouvelle. C'est ce qu'il m'a pris de faire en direction des habitats de potentiels amateurs curieux de l'art. J'ai publié un objet presque normal: un disque compact. Deux choses cependant: d'une part ce disque n'est pas une création audio achevée qu'il s'agirait uniquement de lire sur un appareil domestique. D'autre part le disque se trouve en deux exemplaires identiques dans un même boîtier. Je suggère une réinjection dans une situation propre à l'auditeur de cet objet édité, celui-ci pouvant jouer deux exemplaires du disque de façon simultanée sur deux lecteurs autonomes l'un par rapport à l'autre, produisant les croisements et assemblages fortuits dans l'espace acoustique d'habitats de particuliers de pistes sonores. {br} Une des situations qui saute c'est celle du cadre. Dans les arts visuels le cadre de l'objet avait explosé, tant par des choses telles que la peinture all-over que de l'environnement en tant qu'espace retourné dans l'espace par rapport à la sculpture dérivée de la statuaire. Dans le même temps quand on pense au son le repère que l'on adopte spontanément est celui d'un cadre rigide de situation d'écoute: l'auditeur immobilisé en position assise dans une situation centrée par rapport aux sons qui lui sont présentés. Certains artistes sont sortis du cadre de l'écoute mais en arrimant aussitôt leurs sons à des objets que sont les outils de diffusion, exemple: enceintes design. J'ai préféré travailler à faire exister des sons dans un environnement réel. {br} Etre saisi de surprise dans son expérience normale. Au cours de ma deuxième année en école d'art j'ai réalisé à l'occasion d'une exposition collective de travaux d'étudiants un travail qui a fonctionné et fonctionne encore comme un point de repère dans le parcours de la pensée de mon activité. Dans la plus petite salle du lieu d'exposition j'avais mis en activité un dispositif qui dotait l'acoustique de cette salle étriquée d'un effet de cathédrale. L'impression sonore que l'on avait lorsqu'on se trouvait dans cette salle n'était plus cohérent avec l'impression visuelle : une salle visiblement minuscule dans laquelle on s'entend comme dans un lieu immense. C'est un travail qui partait de l'observation d'une expérience concrète et qui distordait la normalité de la perception. {br} {br} -------------------- {html}<a name="chambres de distorsion"></a>{/html} {br}
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