Main page
Recent changes
Syntax
History
luc kerleo
!textes -------------------- {html}<a name="art est arrive"></a>{/html} !!comment l'art est arrivé {br} {br} ''textes publiés dans Petits Cahiers n21, automne 2008, édition du service culturel, centre d'art de l'Yonne'' {br} {br} Nous nous étions tous rapprochés du tableau. L'institutrice nous apprenait à former des mots au moyen de lettres en plastique de couleur que l'on pouvait déplacer mais qui une fois lâchées restaient collées au tableau. J'avais entendu parler des aimants et savais vaguement ce que c'était mais je n'avais jamais eu l'occasion d'en manipuler par moi-même. Le phénomène magnétique m'intriguait énormément. L'institutrice invitait à tour de rôle ceux qui avaient en tête un mot qu'ils savaient écrire à venir au tableau, devant toute la classe, former ce mot en lettres magnétiques. Je levais le doigt. Collé au tableau je restais simplement un petit moment à manipuler les lettres sur la surface métallique, ressentir la force invisible, étudier la réaction des aimants. Les autres élèves firent rapidement remarquer que cela ne formait aucun mot. J'étais quelque peu troublé : ils ne donnaient aucun sens à mes manipulations, à mon étude et ma découverte minutieuse de la force magnétique. {br} {br} La salle, aménagée en lieu de culte où l'on disait la messe, était équipée d'une petite sono. Durant cette cérémonie nous avions une phrase à lire devant la petite assemblée de camarades et de parents d'élèves. Ma fébrilité grandissait à mesure que se rapprochait le moment où ma voix allait basculer dans les haut-parleurs. Mon tour venu je m'approchais du micro et lus mon texte. Le phénomène que je sentais venir quelques instants auparavant surgissait à présent : un deuxième être surgissait de ma bouche et, tel un fantôme ou autre être surnaturel, occupait toute la salle sous forme d'une substance en flottaison. De minuscules particules invisibles tournoyaient frénétiquement autour du micro en pétillant. Je voyais soudain la salle sous un angle de vue qui m'était étranger. Elle devenait une extension de mon organisme. Je me sentais alors une responsabilité énorme, mais pas une responsabilité d'ordre moral, plutôt d'ordre substantiel, moléculaire. L'impression était extêmement forte. Je bouillais intérieurement. J'avais une envie presque irrépressible de sculpter en un geste instantané de la voix la matière que constituait l'attention de la salle.J'eus un mal fou à aller jusqu'au bout de ma petite phrase. Je voulais établir des zones de silence dans ma lecture, m'arrêter, lâcher les gens dans le vide, leur offrir un saut en parachute, puis les reprendre. Je me forçais à rester tant bien que mal sur le fil de ma lecture. Les multiples hésitations qui assaillaient la neutralité conventionnelle de ma diction furent la marque de ce que je vois aujourd'hui comme ma première performance. {br} {br} Quelques jours après Noël toutes les piles étaient usées. Je persuadais aisément mes camarades de me confier à moi plutôt qu'à la poubelle leurs talkie-walkies apparemment hors d'usage. Avec ceux que mes parents m'avaient offerts je disposais de pas moins de six talkie-walkies. Je n'hésitais plus à ouvrir leur boîtier pour percer le mystère de la transmission du son dans les airs. Je branchais un transformateur directement sur les circuits électroniques et j'établissais le contact "code morse" faisant retentir une agaçante tonalité. Soudain cette tonalité se mua en un gazouillis. Je scrutais le phénomène : en positionnant mes doigts de diverses manières sur le circuit que je tenais en main les gazouillements variaient. Ayant déjà eu l'expérience de quelques décharges électriques je savais que l'électricité passait par les doigts. Je repérais alors sur le circuit les points déterminants permettant de moduler le son du bipeur. On retrouvait à chaque fois des résistances à ces points. Je montais alors des résistances variables en lieu et place de mes doigts sur le circuit. Je modulais bel et bien la tonalité du bipeur. Le son devenait un matériau formable, donc plastique. {br} {br} Jour de kermesse, dans la cour du collège une effrayante sono diffusait un fond musical permanent de pop musique plus ou moins surannée. Je m'étais arrêté face à une des énormes enceintes et je m'étais amusé à m'en approcher le plus près possible, à un mètre des énormes haut-parleurs. J'examinais leurs soubresauts. Les membranes en vibration trépidante m'apparaissaient très expressives. Deux de mes camarades d'école s'étaient aussi arrêtés et approchés des enceintes. L'énormité de la sono les amusait soudain beaucoup. Ils jouaient avec les ondes sonores comme on peut s'amuser à marcher contre le vent en bord de mer. En repassant dans l'axe des haut- parleurs à un moment où la sono tournait à vide sans musique je basculais soudain dans le volume du bruit de fond du puissant système d'amplification. Les haut-parleurs graves vomissaient un vent tiède tandis que les aigus formaient quelque chose que je visualisais comme une énorme aiguille acérée à plusieurs mètres devant eux. {br} {br} Ce qui me fascinait sur cet appareil c'était son air de tableau de bord de vaisseau spatial. Pendant que mon voisin pianotait des mélodies sur le clavier de l'appareil j'observais les signes et acronymes ésotériques assignés à chaque bouton. C'était un appareil à imiter les sons de tous les instruments de musique les plus courants. Pourtant ce qui m'attirait dans l'idée de manipuler les commandes de réglages de sons ce n'était pas l'imitation de sonorités connues mais la création de choses étranges, aussi effrayantes puissent-elles être. Quant aux touches noires et blanches du clavier je me serais bien contenté d'en bloquer une de manière à faire retentir de façon permanente une seule note que j'aurais triturée sans limite. Les sons terriens ne stimulaient pas mon esprit. La terre était pour moi une boule dans l'espace tandis que nous étions nous-mêmes constitués de particules élémentaires. Ainsi, pendant que mon jeune âge m'interdisait de manipuler les commandes de création des sons, je laissais mon imagination chercher des formes qui puissent rentrer en résonance avec notre condition d'êtres dans le cosmos. {br} {br} http://luc.kerleo.free.fr/store/PetitCahier21.pdf {br} {br} -------------------- {br} {html}<a name="mise en pieces"></a>{/html} !!mise en pieces {br} {br} '''mise en pièces''' « Ces sons, tu les as enregistrés? ». Cette question m'a souvent été posée concernant mon véhicule personnel dans lequel j'avais placé des micros de contact sur des pièces mécaniques afin d'amplifier et de donner à entendre des sons qui habituellement sont difficilement audibles parce que recouverts par le bruit prédominant des explosions dans le bloc moteur et en sortie du pot d'échappement. Oui, j'avais procédé à une petite expérience qui consistait à enregistrer sur un trajet d'environ un quart d'heure les sons provenant d'organes mécaniques tels que : vase d'expansion, ressort d'amortisseur, mécanisme de direction, commande de boîte de vitesse, servo-frein. La seconde partie de l'opération consistait à écouter l'enregistrement, c'est-à-dire à écouter les sons non pas via le système audio de l'habitacle du véhicule, situation dans laquelle je les donnais à entendre en temps normal, mais en-dehors de celle-ci, dans une situation spécifique d'écoute. L'expérience sensible se révélait alors ne pas avoir grand-chose à voir avec celle de départ. C'est que le véhicule amplifié est un acte qui avait été pensé comme quelque chose qui prenait place dans une situation, dans un contexte assez précis qui est le déplacement d'une ou plusieurs personnes dans un véhicule sur le réseau routier. Ce qui constituait la proposition artistique se révélait être un fait spécifique dans un contexte précis: des bruissements mécaniques d'un véhicule particulier amplifiés et diffusés dans l'habitacle. Outre le fait qu'il était nécessaire pour que les organes mécaniques amplifiés vibrent afin que les micros de contact captent quelque chose le fait que le véhicule soit en mouvement participait à la synthèse de la proposition artistique. Le son n'était qu'un aspect d'une situation d'ensemble dans laquelle le déplacement dans l'espace était central. Il ne s'agissait pas tant de produire quelque chose de sonore qu'une distorsion d'expérience du quotidien. Le son n'était qu'un sens parmi les autres dans un travail qui fonctionnait de façon pluri-sensorielle. Concrétiser mon action sur le plan de ce qui était donné à écouter n'était rien de plus que la façon la plus percutante que j'avais trouvée de transformer de façon marquante une expérience du quotidien. Cette pièce était sa propre situation de présentation : le travail et son expositions étaient une seule et même chose. Une situation banale – le trajet d'un véhicule particulier – devenait une expérience singulière par distorsion de l'environnement sonore dans le déplacement du véhicule dans l'espace routier. Les passagers, embarqués pour un trajet, devenaient les spectateurs. {br} Le son dans le champ de la création est le plus souvent sous-entendu comme relevant des arts médiatiques. La destination essentielle des créations sonores serait les médias. L'immense majorité des travaux de création se conforme en effet à des formats médiatiques : disque, diffusion radio, etc. La stéréophonie est la base technique de cette architecture de type médiatique. Or je pense que mon activité ne requiert pas d'exister via des médias. C'est une activité qui ne se structure pas dans l'optique d'un passage dans un système médiatique. Il s'agit de faits bruts, qui ne supposent pas une retranscription dans l'espace et/ou le temps. >les médias interviennent comme matériaux dans mon activité (pensée que je précise notamment dans mon texte un bruit suspect). {br} Dans plusieurs de mes pièces je travaille avec des générateurs sonores autonomes, non-synchronisés les uns avec les autres que je dissémine dans l'acoustique d'un lieu. Les technologies audio actuelles se révèlent dès lors peu appropriées à une bonne part de mes travaux. Je développe alors ma propre technologie. Pour chacune de mes pièces je construis un dispositif, une sorte de microcosme technologique qui comprend généralement un ou plusieurs générateurs de sons qui sont branchés sur autant d'amplificateurs et qui alimentent autant de haut-parleurs. Dans cette partie de mes travaux ni enregistrement ni stockage de données audio n'est utilisé. Les signaux que mes machines produisent en direct ne sont pas complexes comme dans le cas des équipements audio, mais élémentaires. Il s'agit souvent de fréquences pures et de signaux tels que l'on en trouverait plutôt dans des laboratoires d'acoustique. {br} C'est sur la question de la situation spatiale des spectateurs que je vois un lien de ressemblance assez direct entre la stéréophonie et l'espace cadré du tableau classique. Dans l'un comme dans l'autre il est question d'un point central de perception: le spectateur devant se placer en face du tableau pour percevoir la construction de la perspective, dans le cas de la peinture classique; l'auditeur devant se placer au centre d'un système d'écoute stéréophonique ou multiphonique dans le cas d'une écoute d'un enregistrement. {br} '''aux alentours de la mise au point''' Lors de ma première année aux Beaux-Arts j'avais aménagé dans mon appartement un environnement pour une pratique soutenue de peinture. J'utilisais des supports de récupération et des couleurs acryliques industrielles pour pouvoir mener mes expérimentations en quantité et au rythme auquel mes réflexions me demandaient de peindre sans avoir à me préoccuper d'une quelconque limite matérielle. Je passais progressivement d'une approche figurative assez graphique, une sorte de dessin au pinceau sur moyen format, à des surfaces entièrement occupées par des nuances de couleur, ou encore, des systèmes répétitifs de traits, taches, bandes noires ou colorées. J'expérimentais des nuances de densité, de luminosité. Je laissais progressivement tomber la composition picturale au profit du rapport de l'espace des peintures avec l'espace du lieu de travail. Je ne m'intéressais plus tant à ce qui se passait entre les différents éléments intervenant dans une peinture qu'aux relations entre celle-ci et l'espace dans laquelle elle se trouvait. Je me rendais attentif à la façon dont une peinture entrait et sortait du champ visuel, à la façon dont elle circulait en périphérie de ce champ, à ce que je ressentais en marchant dans cette petite forêt de peintures. {br} '''bas-relief''' En démontant le système technologique d'un magnétophone à cassette stéréo en vue de le réparer je m'étais aperçu que celui-ci comportait deux pistes nettement séparées, un peu comme deux magnétophones siamois. J'entrepris alors de rendre autonomes ces deux pistes afin de pouvoir enregistrer indépendamment sur l'une ou l'autre d'entre elles. Ce système double que l'on retrouve dans tous les équipements stéréophoniques a pour fonction de modéliser notre perception binaurale qui est basée sur le fait que, nos deux oreilles étant éloignées d'environ 17 centimètres l'une de l'autre nous percevons un relief sonore dans notre environnement acoustique courant. De par ce léger décalage dans l'espace chaque source sonore qui se manifeste dans l'espace acoustique nous parvient d'une façon légèrement différente à chacune de nos oreilles, différence de volume, de temps, de spectre, etc. Partant de cette donnée j'ai entamé tout un cycle de création de bandes son dans lesquelles j'introduisais des différences entre les deux pistes de mes bandes stéréophoniques, allant même jusqu'à créer chaque piste totalement individuellement l'une de l'autre pour ne les réunir que dans la dernière étape de travail, celle de la lecture. Dans un premier temps j'ai travaillé à générer des effets de stéréophonie les plus poussés possible. Cela impliquait que le contraste entre les deux pistes reste dans des limites, notamment que chaque piste soit le miroir tout au plus déformé de l'autre. Puis j'ai franchi les limites de la cohérence stéréophonique, produisant des expériences sonores monstrueuses. J'ai beaucoup travaillé à construire des espaces stéréophoniques dont je poussais les sensations de relief à l'extrême en poussant les décalages entre les deux pistes aux limites de la cohérence stéréophonique que peut reconstituer l'écoute. Lors de mon cursus aux Beaux-Arts, dans le cadre d'une journée de formation à la prise de son j'ai eu l'occasion de faire écouter à l'intervenant, ingénieur du son de son métier, une de mes bandes. Il a tout de suite été frappé par la distorsion de la stéréophonie deux sons quasi-désynchronisés entre la droite et la gauche et quasiment aucun son au centre. Le phénomène de relief de la stéréophonie commençait pour moi à sortir de son cadre. La stéréophonie devenait comme un modèle réduit de l'espace acoustique réel. Il ne s'agissait plus de créer un espace qui soit réaliste mais pur phénomène de relief poussé à l'extrême. Mais c'est alors que le relief craquait et devenait espace. >A l'examen de fin de première année d'école d'art j'avais présenté une diffusion simultanée sur deux enceintes de deux sons totalement différent l'un de l'autre, comme une double diffusion. {br} '''friche''' Lors de l'exposition de fin de cursus de beaux-arts je me suis trouvé en situation de devoir ré-évaluer les formes que j'avais élaborées jusqu'alors. Auparavant pendant une période d'environ deux ans je m'étais acharné à faire apparaître de l'espace à l'intérieur même des bandes-son et j'avais d'ailleurs obtenu des résultats intéressants et instructifs en ce qui concerne la capacité de l'écoute à pouvoir faire appel à des expériences spatiales du quotidien et de basculer ainsi dans une richesse spatiale à partir de stimulations sonores les plus réduites possibles. Mais ces bandes étaient destinées à une écoute en situation d'isolement sonore (casque stéréo, auditorium, installation hi-fi domestique). Or voici que je me trouvais dans la situation d'un espace physique occupé de façon collective et pas du tout aménagé pour une projection sonore. Je devais trouver une solution pour présenter une pièce dans une situation dans laquelle deux pré-requis manquent à une présentation d'une bande-son, ces pré-requis étant le silence d'une part et le positionnement des oreilles de l'auditeur dans un placement équilibré entre les deux haut-parleurs de la stéréophonie d'autre part. Dans ce genre de situation les formes visuelles et en dur se trouvent de fait privilégiées car elles bénéficient d'un long passé de d'ajustement mutuel entre elles-mêmes et la situation d'exposition. Depuis que ce genre de pratique existe les architectures, équipements et aménagements dédiés aux expositions se sont développés pour répondre aux besoins de la présentation d'œuvres d'arts visuels aux visiteurs. Par contre du fait de son apparition en tant que matériau artistique dans les expositions le son n'y trouve pas un terrain matériellement neutre. Notamment les salles d'exposition sont généralement très réverbérantes et les sons émis par des œuvres se trouvent modifiés par l'importante résonance acoustique qu'ils provoquent dans le lieu. L'autre obstacle consistait en une impossibilité de placer les visiteurs au sommet d'un triangle dont la base se trouverait entre les deux haut-parleurs, comme cela est le cas par exemple dans un auditorium. En effet pour mettre au point un enregistrement les ingénieurs du son travaillent généralement à équilibrer des sons entre les deux pistes. Et cet équilibre est conçu en partant du principe que chaque auditeur se trouvera à égale distance des deux enceintes d'un équipement stéréophonique. Or dans une exposition collective un même espace est généralement partagé entre plusieurs exposants. Ce partage, lorsqu'il est opéré de façon sensible, créative et intelligente constitue d'ailleurs un aspect stimulant de l'exposition. Les visiteurs déambulent dans l'espace avec une relative liberté et construisent eux-mêmes leur point de perception des œuvres. Dans ces conditions il était vain que je travaille un enregistrement stéréophonique qui serait restitué de façon totalement déséquilibrée dans un espace d'exposition. Je me trouvais dans la même situation qu'un peintre classique dont la toile ne serait présentée que de biais aux visiteurs, ce qui en détruirait la construction perspective, produisant une anamorphose. Et c'est justement le phénomène de l'anamorphose qui m'a inspiré. En vue de mieux comprendre ce qu'est l'espace je me suis amusé à distordre un des systèmes qui le représente. >J'ai réalisé une série de petits enregistrements audio faits de prises de son stéréophoniques dans différentes situations de la vie quotidienne dans un système d'écho qui répétait le signal au point d'arriver à une saturation totalement bruyante qui finissait par diminuer en intensité et s'éteindre progressivement dans le silence. A la diffusion j'inversais le sens de ces bandes de façon à ce qu'on entende un bruissement s'installer, gonfler progressivement jusqu'au bruit, que ce bruit se décante progressivement afin que l'on puisse entendre ce qui le constitue. Cette pièce, diffusée sur un système stéréophonique, fonctionnait sur un passage d'une perception lointaine à une écoute frontale, passant du comportement de sculpture dont la forme évoluait sur quelques minutes à un environnement virtuel dans lequel on pouvait s'immerger comme face à un écran diffusant une vidéo à effet 3D. La série {br} '''décortiquer l'espace''' Dans 1/25000, pièce conçue et réalisée à l'occasion de mon exposition à La Station à Nice en 1996, j'ai démultiplié un enregistrement stéréophonique d'une ambiance dans un bar en une quinzaine de points d'émission par groupe de fréquences. La lecture d'un enregistrement était spatialisée mais sur un mode bien spécial: le signal était séparé et décomposé par des filtres de fréquences puis acheminé dans l'espace d'exposition par groupes de fréquences situés en différentes zones: les sons aigus diffusées en un point, les extrêmes graves en un autre, les bas médium encore ailleurs, etc. Les systèmes de spatialisation conçus par des ingénieurs de l'industrie audio-visuelle (hi-fi, sono) ont pour fonction de reconstituer dans un espace acoustique réel un autre espace, uniquement sonore. Au contraire dans cette pièce la diffusion sonore ne se surajoute pas au lieu. Elle crée un phénomène sonore spécifique qui ne recherche pas la cohérence avec une référence acoustique réelle qui se trouverait ailleurs que dans l'exposition. >faire expérience d'une anamorphose spatiale : une cohérence spatiale insérée dans la cohérence spatiale concrète {br} Lors de mon exposition au Caméléon (Erratum, Besançon, 1998) j'ai utilisé une douzaine de walkmans lisant chacun une cassette différente. Ayant enregistré séparément les deux pistes de chaque cassette je me retrouvais alors avec deux douzaines d'enregistrements diffusés simultanément. La diffusion dans l'espace se faisait par vingt quatre haut-parleurs miniatures répartis tout autour de la salle légèrement au-dessus de la tête des visiteurs. L'ensemble produisait un bruissement aigu audible comme bruit de fond dans le lieu. Le son diffusé par chaque haut-parleur devenait audible indépendamment pour le visiteur qui s'en approchait. La distance vis-à-vis des haut-parleurs déterminait le passage entre deux apparences de la sculpture : on passait du nuage bruissant à une miniature sonore. C'est un travail qui portait sur la façon dont la perception assemble ou désassemble un même ensemble de signaux. >jeu de montage-démontage, les sons et leur synthèse {br} '''arpenter un temps''' Un Clocher (label Kaon, Limoges, 1998) est une bande stéréophonique dans laquelle on a trois exemples d'un système dans lequel un seul son se trouve démultiplié un grand nombre de fois dans le temps et dans l'espace de la stéréophonie. Je travaille ainsi à constituer une situation qui puisse s'arpenter par le jeu de l'écoute. Je n'aborde plus le temps comme une ligne mais comme une étendue. De façon générale je conçois celles de mes pièces qui se présentent sous forme d'enregistrements comme des choses qui demandent à être répétées, relues, écoutées et ré-écoutées, parcourues. Je crée des territoires dans lesquels on puisse mentalement se promener. La construction dans le temps n'y existe pas pour elle-même mais pour générer un espace. Le temps est celui du déplacement. Je cherche à produire un temps ralenti de façon à ce que les spectateurs puissent détacher leur écoute du présent immédiat et acquièrent des degrés de liberté par rapport à ce qui apparaît dans le temps de l'enregistrement. {br} '''en marchant''' Je ne voulais plus contribuer à cadrer les comportements humains par un mode d'emploi de l'écoute. Je me suis intéressé aux errements de la pensée. Dans le cadre d'une exposition personnelle J'avais, de plus, et contrairement aux suggestions des personnes en charge du lieu, pris bien soin qu'aucunes rangées de chaises mimant l'auditorium et suggérant l'écoute ne soient disposées dans la salle. Le photographe a été dérouté lorsqu'il lui a fallu procéder, comme il était d'usage pour chaque exposition, aux prises de vues. Suite à un incident technique avec son matériel il a été question qu'il refasse des photos mais entre temps l'exposition, arrivée à la fin de sa période, avait été démontée, laissant la salle vide avant le montage de l'exposition suivante. Et c'est ainsi que pour cette deuxième séance, la bonne, il s'est retrouvé à prendre en photo un lieu vide. Protection N°8 (La Box, Bourges, 2000) est une exposition dans laquelle l'espace est vide de toute intervention visuelle. La présence plastique y est exclusivement sonore. J'avais disposé plusieurs sources sonores autonomes les unes des autres. Cet ensemble, en cohabitant dans une même acoustique, formait un environnement. Il n'y avait pour ainsi dire « rien à voir ». Il n’y avait pas de rangs de chaises ni quoi que ce soit pour s'asseoir dans mon exposition pour privilégier les déambulation des visiteurs, leur promenade, et en tirer parti. Des chaises auraient nié la forme de et dans l'espace qu'adoptait cette exposition. La station debout est une position réceptive plus ouverte que la position assise qui, elle, assigne le visiteur à un placement bien précis dans un lieu. L’un des caractères du travail présenté est qu’il est sonore. Si je dispose des chaises dans l'espace j’instaure une convention d’écoute qui vient de pratiques artistiques qui ne sont que sonores, où le son n’est pas un choix. Or dans ma pratique au sein des arts visuels le son est déjà, en lui-même, un choix. >Je choisis un matériau instable pour me concentrer sur une construction à un autre niveau que matériel qui est une construction mentale. Face à une proposition plastique la marche est la position active de l’être humain, c’est-à-dire sa position d’autonomie, la position comportant le plus de potentiel, le plus d’ouvertures possibles quand à la réaction qu’il peut avoir par rapport à ce qui lui est présenté. Le corps est un outil de découverte. On place sa perception dans l’espace au moyen du corps. - {br} '''dessiner dans le plein''' Pour moi, dans le champ du visuel, le son intervient par indices. Contrairement à ce qui a cours dans la tradition occidentale des arts faisant intervenir le son je ne travaille pas dans le silence. J'insère mes sons dans le bruit ambiant. Invité à faire un workshop à la Villa Arson à Nice j'ai mis en route une sirène dans la salle dans laquelle j'avais demandé aux étudiants de réunir du matériel. La sirène fonctionnant sans discontinuer et envahissant l'espace acoustique agissait comme l'aurait fait un carrefour envahi de véhicules dans une grande ville à une heure de pointe. Je demandais alors aux participants au workshop de poser des actes qui puissent trouver une existence dans cette bulle déjà sonore. {br} Lors d'une évaluation durant mon cursus d'études j'avais présenté une performance qui consistait à m'enfermer dans ma chambre d'étudiant durant toute la durée des examens et à ne faire apparaître de mon travail que des sons retransmis par liaison filaire dans une salle de type salle d'exposition à usage interne à l'école d'art. Préparant cette performance je m'étais rendu compte combien la réverbération de cette salle rendait inintelligibles les sons que j'allais diffuser dans ce lieu. J'avais alors précipitamment entrepris de diminuer la réverbération, la résonance, en recouvrant les murs de la salle d'épais rideaux de velours. La réverbération avait quasiment disparu, rendant les sons sortant des enceintes beaucoup plus distincts. Mais la répercussion visuelle de cette transformation acoustique modifiait radicalement l'apparence du lieu, transformant une salle aux murs blancs en un endroit qui prenait des allures de chapelle. Réagissant à cet effet qui m'avait complètement surpris je me mis à envisager de travailler avec les lieux tels qu'ils existent en eux-mêmes, tant sur le plan visuel qu'acoustique. Je prenais alors le parti de travailler avec les lieux tels qu'ils existent et pour ce qu'ils sont, cela quel que fût la déformation qu'ils opéreraient sur les sons que j'y diffuserais. Et pour vivre cela dans une posture active je prenais en considération ces déformations en elles-mêmes dans la conception de mes projets. Lors d'une soirée de musique expérimentale j'ai présenté une performance basée sur la lecture d'enregistrements très brefs entrecoupés de longs silences. J'étais dans le public, orienté à quatre-vingt-dix degrés avec un ordinateur et des enceintes de sonorisation orientées elles aussi perpendiculaires au public. En cliquant sur un point représentant un fichier j'en déclenchais la lecture, courte lecture qui ne durait pas plus de quelques secondes. Puis je laissais quelques dizaines de secondes s'écouler avant de déclencher la lecture d'un autre son. Par un rapport entre les fragments sonores et les durées de silence je cherchais à produire une conscience de la situation concrète de la salle de concert, à redonner une existence concrète à cette salle et au fait que des gens s'y trouvent. {br} '''le distributeur''' Les contextes d'exposition très particuliers ont à plusieurs reprises agi chez moi comme des stimulants et déclencheurs de nouvelles idées. Un des gestes récurrents encore à l'heure actuelle dans ma pratique et qui consiste à concevoir des pistes sonores très courtes diffusées entre des périodes de silence s'est révélé pour moi lors d'une exposition collective qui avait pris le parti d'une forme de type caverne d'Ali-Baba. Il s'agit de 49F90, exposition qui a pris place à Nice Fine Arts, lieu d'exposition indépendant géré entre autres par Axel Hubert et Noël Dolla. Venant de deux artistes très attentifs aux intéractions entre les lieux d'exposition et les œuvres qui y étaient exposées l'idée relevait d'une adresse à saisir de façon claire et efficace le potentiel d'une situation de contrainte financière. L'initiative de cette exposition partait d'une donnée très triviale: vendre chacune des œuvres exposées pour un prix 49 francs et quatre-vingt dix centimes afin de récolter de l'argent pour payer le loyer du lieu. J'y ai présenté un « distributeur », un boîtier blanc muni d'un casque d'écoute stéréophonique qui donnait à entendre 5 secondes d'un enregistrement chaque fois qu'on y glissait une pièce de vingt centimes. La durée totale de l'enregistrement était définie de façon à ce qu'une personne introduisant la somme totale de cinquante francs en pièces de vingt centimes entendrait la durée totale de celui-ci. Dans cette petite salle aux allures de bazar surchargé l'audition en isolement de cinq secondes d'un espace sonore étranger (venant d'un enregistrement) produisait un effet de basculement, une coupure-éclair par rapport au bruit visuel et sonore environnant. Du fait notamment de la coupure provoquée par le port du casque, ainsi que de la stéréophonie le son diffusé par le distributeur recouvrait le son ambiant de la salle d'exposition tandis que l'environnement visuel réel prenait l'allure d'une image. Mais cela se volatilisait très rapidement après être apparu. {br} Attitude qu'on pouvait sans doute déjà deviner lorsque j'avais commencé à exposer du son dans la réverbération des salles d'expositions Je me connais un certain enthousiasme pour les collaborations avec des organisations qui mettent en place des contextes inattendus et expérimentaux de présentation de pièces d'artistes, qui parviennent à faire exister le travail des artistes dans des contextes inédits. Dans plusieurs villes d'Europe l'organisation ERGO avait investi des laveries automatiques comme lieux d'exposition. Invité à présenter un travail dans une de ces laveries j'ai créé un environnement sonore intermittent dans lequel des groupes de fréquences pures modulées se relaient et se chevauchent sur une durée d'une quinzaine de secondes à intervalles d'environ deux minutes. >périodiquement une escadrille de sifflements se promenaient furtivement dans l'espace d'un lieu pratiqué de façon temporaire par des gens qui n'étaient pas venus pour voir de l'art mais pour laver leur linge. Un lieu particulièrement solidement ancré dans le quotidien devenait furtivement bizarre. Des volumes sonores qui n'avaient rien à voir avec la situation se frayaient furtivement un passage dans une situation très standardisée. {br} Utiliser des supports standardisés pour les détourner dans un champ d'application moins conventionnel rejoint également ce goût pour l'abord de situations avec l'œil d'un explorateur en contrée nouvelle. C'est ce qu'il m'a pris de faire en direction des habitats de potentiels amateurs curieux de l'art. J'ai publié un objet presque normal: un disque compact. Deux choses cependant: d'une part ce disque n'est pas une création audio achevée qu'il s'agirait uniquement de lire sur un appareil domestique. D'autre part le disque se trouve en deux exemplaires identiques dans un même boîtier. Je suggère une réinjection dans une situation propre à l'auditeur de cet objet édité, celui-ci pouvant jouer deux exemplaires du disque de façon simultanée sur deux lecteurs autonomes l'un par rapport à l'autre, produisant les croisements et assemblages fortuits dans l'espace acoustique d'habitats de particuliers de pistes sonores. {br} Une des situations qui saute c'est celle du cadre. Dans les arts visuels le cadre de l'objet avait explosé, tant par des choses telles que la peinture all-over que de l'environnement en tant qu'espace retourné dans l'espace par rapport à la sculpture dérivée de la statuaire. Dans le même temps quand on pense au son le repère que l'on adopte spontanément est celui d'un cadre rigide de situation d'écoute: l'auditeur immobilisé en position assise dans une situation centrée par rapport aux sons qui lui sont présentés. Certains artistes sont sortis du cadre de l'écoute mais en arrimant aussitôt leurs sons à des objets que sont les outils de diffusion, exemple: enceintes design. J'ai préféré travailler à faire exister des sons dans un environnement réel. {br} Etre saisi de surprise dans son expérience normale. Au cours de ma deuxième année en école d'art j'ai réalisé à l'occasion d'une exposition collective de travaux d'étudiants un travail qui a fonctionné et fonctionne encore comme un point de repère dans le parcours de la pensée de mon activité. Dans la plus petite salle du lieu d'exposition j'avais mis en activité un dispositif qui dotait l'acoustique de cette salle étriquée d'un effet de cathédrale. L'impression sonore que l'on avait lorsqu'on se trouvait dans cette salle n'était plus cohérent avec l'impression visuelle : une salle visiblement minuscule dans laquelle on s'entend comme dans un lieu immense. C'est un travail qui partait de l'observation d'une expérience concrète et qui distordait la normalité de la perception. {br} {br} -------------------- {html}<a name="chambres de distorsion"></a>{/html} {br} !!chambres de distorsion {br} la figure de l'écho apparaît de façon récurrente dans mon activité {br} '''tapis roulants''' Entre autres pistes de travail ma période d'étude en arts visuels a vu apparaître dans ma pratique plusieurs réalisations de zones de distorsion du temps. Dans des lieux de type salle d'exposition les visiteurs entendaient une diffusion de ce qui paraissait être une bande son mais dans laquelle il apparaissait des traces sonores de leur présence dans le lieu antérieures de quelques instants à leur présent. Une diffusion sonore était installée à un point d'écoute ou dans une salle d'exposition. Sur le plan technique pour produire des retards de temps je construisais essentiellement des systèmes à bande magnétique dans lesquels la tête d'enregistrement et la tête de lecture étaient séparées d'une distance qui allait de quelques centimètres à plusieurs mètres. En rapport avec la vitesse de défilement de la bande magnétique cette distance entre le point d'enregistrement et le point de lecture déterminait le temps de retard. Elle était aménagée en fonction d'un rapport entre les dimensions de la zone spatiale que mes pièces concernaient (elles concernaient parfois un parcours) et entre l'usage qu'avaient les personnes de cet espace. Dans une première phase je travaillais avec des systèmes analogiques à base de magnétophones à bande très volumineux. Le système était visible, voire montré. Puis j'ai travaillé à base de magnétophones à cassette que je modifiais et je me suis acheminé vers une discrétion de la présence du montage technique en lui-même, les magnétophones étant devenus quasiment invisibles, d'une part parce qu'ils étaient en eux-mêmes plus petits, d'autre part parce que je les voulais plus petits et qu'en plus je les cachais ou ne les montrais pas. {br} '''miroirs, anamorphoses''' Un travail antérieur a amorcé cette série, sans en faire directement partie. Il s'agissait d'une modification d'une acoustique au moyen d'un dispositif électronique. Une salle d'exposition de très petite dimension réverbérait comme une cathédrale tout son qui y était produit par la présence des visiteurs (bruits de pas, voix, etc.). Outre un microphone et un système d'écoute stéréophonique j'avais mis en œuvre une réverbération électronique. Sur le plan technologique, dans les appareils actuels, le phénomène sonore de la réverbération acoustique des salles est modélisé (imité) par un montage de lignes à retard qui enregistrent le signal audio qu'on leur envoie puis se rediffusent les unes dans les autres cet enregistrement avec un court laps de temps de retard. Le phénomène sonore de réverbération se comporte comme un écho très court dont les répétitions se mélangeraient, créant un magma, une masse qui tend vers le bruit. Comparé à un écho une réverbération sonne comme une résonance: au lieu de s'entendre séparément les répétitions du son se mélangent au point de former une masse compacte qui est le son de la réverbération. Lorsque nous produisons des sons dans un lieu réverbérant nous entendons en retour des entités sonores qui proviennent directement de ce que nous avons produit mais qui n'y ressemblent pas. Les sons réverbérés sont comme des avatars de nos propres sons. Nous disséminons notre présence dans un lieu et dans le temps sonore de ce lieu, dans sa résonance. Un premier degré de dédoublement apparaît dans le jeu de la réverbération. {br} '''Ça a la forme de son utilisation''' Dans toute cette lignée de travaux la technologie apparaît par elle-même et pour elle-même, pour son propre potentiel expressif, par les structures de représentation qu'elle porte et sur lesquelles elle repose. Un phénomène transitoire qui normalement (c'est-à-dire dans la perspective dans laquelle cette technologie a été développée et mise en œuvre) reste un épisode de travail et n'apparaît pas dans ce qui est présenté au final. Or ce phénomène transitoire prend ici une existence propre pour se rendre présent aux visiteurs. Ici il n'y a pas de projet pré-existant à la technologie à laquelle celle-ci serait mise à contribution. Sans la technologie le projet ne se formule même pas car c'est la manifestation d'une technologie qui motive le projet lui-même. Sans la technologie il n'y a pas de nécessité artistique au projet. Le projet artistique vise et désigne l'existence du moyen technique de sa réalisation, ce moyen technique lui-même, précisément. La dichotomie contenant-contenu n'est pas adaptée ici. La nécessité artistique propre à ces travaux vient d'une rencontre que j'ai avec un outil que je considère comme un personnage. Ainsi mon rapport à la technologie est un rapport de rencontre. Ce que j'appelle le personnage de l'outil ce sont généralement des détails qui trahissent l'artificialité des machines, un bruit de fond par exemple, ou un caractère un peu sec dans une reproduction quasi-parfaite, ou trop parfaite, d'un son. {br} '''Une stratégie pour la forme''' L'art contemporain nous désoriente par rapport aux idées que nous pouvons avoir de ce qu'est une forme. Comment faire dans un climat d'épuisement de la notion de forme quand on ressent d'un point de vue personnel cette idée de forme, que l'on pense en faire l'expérience sensible? Où trouver cette notion de forme, lorsque, participant soi-même activement à cette dissolution contemporaine de cette notion on refuse d'aller la chercher dans les endroits où elle est sensée se trouver? Une forme n'apparaît pas ex-nihilo. Elle apparaît dans un magma, dans un flux. Or ce magma chacun de nous en fait partie. Ce flux, notre être conscient y est intégré. La difficulté particulière dans le champ des pratiques artistiques c'est que la forme y est un élément courant, un élément du magma, du flux. Y générer une forme c'est s'intégrer parfaitement dans ce magma et ce flux. Par conséquent c'est ne pas générer de forme, annuler, dissoudre, évaporer la possibilité pour une forme d'apparaître, d'exister. Donc, de ce point de vue, en art générer une forme c'est générer un incident ou accident de forme. Mon activité en tant qu'artiste ne serait plus une activité de la forme mais de l'accident (une forme ne pourrait pas être détenue en soi). Cet accident n'existe pas en-soi. Il se produit lors de la rencontre entre la proposition artistique et la conscience de la personne qui s'y trouve confrontée. On peut comparer ce phénomène d'instant de la forme dans un contexte à un trajet habituel en voiture mais au cours duquel se produirait une crevaison d'un pneu. L'automobiliste, arrêté sur le bas-côté de la route pour remplacer la roue crevée, se trouverait alors projeté dans une situation qui lui est nouvelle sur ce trajet qui lui est habituel. Transposé dans le domaine de l'art c'est dans la relation entre la normalité du trajet et la spécificité de la situation de la crevaison qu'apparaît une forme. La forme est un noeud dynamique, en contradiction finalement avec l'apparence statique que nous avons tous tendance à lui donner pour la conserver. {br} '''croire, savoir, imaginer''' Il est frappant de voir combien les communautés humaines ont travaillé à bâtir une vision du réel, une fable. Et nous-mêmes nous n'y échappons pas: une anti-fable, fût-elle positiviste et rationaliste, est encore une fable. Manifestement nos sens n'ont pas pour rôle de nous faire appréhender en conscience la réalité mais de nous y faire survivre et vivre. Ainsi, notre sens de la vision ne nous transmet que les impressions lumineuses qui concernent notre vie sur la surface terrestre, et ne nous transmet pas les rayons ultraviolets ni les rayons X, ni les ondes radio par exemple, de la même manière que nous n'avons pas de senseurs magnétiques. Et nous ne sommes pas restés à attendre que l'évolution de notre constitution biologique « reconnaisse » et valide nos envies d'étendre le spectre de nos sens comme des besoins et les traite en tant que nécessaires à notre survie et ne nous dote par exemple d'antennes radar dès la naissance. Nous avons formulé un axe de développement de notre civilisation appelé « progrès ». Une part importante de l'activité scientifique a toujours consisté à tenter de déterminer ce qui est réellement à l'œuvre au-delà de ce que nous percevons de la réalité qui nous entoure. Notre subsistance matérielle n'avait pas directement besoin pour être assurée de considérer la terre comme autre chose qu'une surface plane. Pourtant quelques savants, depuis entrés dans l'histoire, sont allés imaginer puis vérifier que la terre, bien au-delà de ce qu'ils nous est donné de voir de nos yeux à hauteur du sol, est ronde. Laquelle de la terre plate ou de la terre ronde stimule le plus l'imaginaire? {br} '''métrique et burlesque''' Dans l'histoire des arts sonores dans la culture occidentale l'intervention de la science tient une place déterminante car elle a produit une approche du son différente de celle qu'avait la musique, seule pratique jusqu'alors à considérer le son, fût-ce dans une relation utilitaire, comme support d'une structure musicale. Le point de vue scientifique sur le son dégage ce dernier de l'emprise affective que la musique exerce sur lui, d'une relation exclusive. Il revient à la source du son en lui-même et efface le tableau des affects liés aux différents sons dans la musique. Etudiant le sonore la science a généré un champ de sons neufs, non pas en créant de nouveaux sons mais en remettant en cause nos habitudes de rapports aux sons. Mais une fois la période revivifiante de la découverte passée la science perd de son rapport au sensible. Car il ne suffit pas de constater une rupture. Il faut encore trouver et établir des continuités qui soient plus actuelles, faute de quoi le passé, avec et malgré sa fatigue, son épuisement, apparaîtra encore comme la seule solution. Par rapport à cela je me suis senti la nécessité de remettre en route un rapport de découverte avec le son. Je vois le fait de faire intervenir le son dans les arts visuels comme un acte proche de la mesure, de l'étude, procurant l'aménagement d'un point de vision. Les technologies mises en œuvre dans les machines conçues pour le travail du son résultent de croisements de connaissances scientifiques. Dès lors ces machines peuvent être considérées comme des conglomérats encyclopédiques de savoirs scientifiques. Isabelle Sordage a constitué une collection de petites règles qu'elle a soigneusement confectionnées et qui affichent toutes une graduation de 20 centimètres tout en étant chacune de longueur légèrement différente. Chacune de ces longueur correspond à un report scrupuleux de la distance donnée par des personnes auxquelles elle demande de lui montrer avec l'écart entre leurs mains une longueur de 20 centimètres. Travaillant avec des machines conçues pour maîtriser le son je navigue pourtant dans l'étonnement. Je passe d'étrangeté en étrangeté. {br} '''documenter un doute''' Cette zone de mes travaux à base de retards divers a trouvé un prolongement dans une série de pièces dont la construction repose sur des jeux de distorsion de déroulement temporel. Il s'agit de pistes sonores qui donnent à entendre des enregistrements qui commencent par un pur artefact sonore technologique (un bruit électronique, genre bruit parasite pour certains, ou une tonalité quasi pure pour d'autres) pour se décanter petit-à-petit au cours du déroulement de la lecture et laisser apparaître progressivement l'enregistrement d'ambiance acoustique qui se révèle comme étant le constituant de base du son abstrait de départ. On entend donc la construction à rebours de quelques chose qui est en train de se construire. On est en présence d'un document (enregistrement comme document sonore, parce que consultable) de la construction de quelque chose, ou du déroulement d'un phénomène, tout en étant dans ce phénomène et en le vivant, simultanément dedans et dehors donc. A l'image de ce dessin d'un illustrateur humoriste dans lequel on voit un homme vomir, puis vomir ses entrailles, puis se vomir totalement de sorte qu'il se retourne comme un sac. Mais ce qui est amené au visiteur dans ces pièces ce n'est pas le processus de fabrication mais la relation entre des indices d'écoute et le processus. J'établis un terrain de jeu autour d'une question qui apparaît par l'écoute et qui est « qu'est-ce qu'on entend ». Je travaille à faire évoluer la réponse par l'expérience vécue à l'écoute. Dans les premiers instants de la lecture la bande paraît se situer hors du cadre de ce que vit le visiteur dans l'exposition. Puis apparaît le procédé qui se révèle être un clin d'oeil à la présence du visiteur. {br} '''bande-son et lieu''' Dans ces pièces, bien qu'elles prennent la forme de bandes son, le rapport au lieu est très fort, tout aussi fort que dans les retards présentés dans des lieux de type salle d'exposition. Pourtant une bande son existant sous forme de multiple et diffusable en diverses situations et par diverses personnes n'est pas objectivement en soi un lieu. Mais ici c'est l'écoute, le fait d'écouter, le vécu de l'écoute, qui produit le lieu. Ce lieu existe par le mode d'habitation du temps d'écoute. On est à l'inverse d'une situation qui abolirait la notion de lieu, comme cela se fait habituellement en musique où la conscience est amenée à une flottaison, au sens d'apesanteur, par rapport à tout lieu et à une primauté de la vibration corporelle ou encore sans doute une expérience proche de la vie intra-utérine où la conscience de lieu n'a pas encore lieu d'être pour le fœtus. Au contraire on est ici dans une situation où c'est l'expérience concrète quotidienne du visiteur qui est sollicitée, par comparaison d'expérience entre un quotidien sonore physiquement cohérent et l'expérience qui est faite par le visiteur confronté à cette proposition plastique paradoxale. Cette série de travaux est apparue par rapport à un cas concret que j'ai eu à traiter et qui était ma participation à une exposition collective. Je me trouvais alors dans une situation dans laquelle je n'avais que très peu de maîtrise de l'espace, notamment de l'espace acoustique. En effet la fluidité physique du son dans l'espace est encore renforcée dans les lieux d'exposition, où aucun travail spécifique n'a été développé sur le plan architectural pour une séparation entre différentes zones. Sur le plan physique une intervention sonore se trouve donc pour ainsi dire lâchée dans l'espace, et dans l'ensemble de cet espace. Son volume est gazeux, volatile, et non solide et fixe. Je me suis alors mis à travailler sur une construction de formes non pas sur le plan physique mais sur le plan mental, un développement temporel dont le mental du visiteur d'une exposition puisse expérimenter la forme, un peu comme une sculpture autour de laquelle il pourrait déambuler mentalement. Le développement de la piste son en lui-même est simple: un bruit dont la décantation laisse progressivement entendre de quoi, de quels sons et sur quel principe, il est constitué. Plusieurs bandes sont réalisées sur le même principe et diffusées bout-à-bout en continu par un petit système d'écoute stéréophonique dans une zone très réduite d'un couloir de l'exposition. L'occupation spatiale de la pièce dans l'exposition tire parti de la présence du visiteur dans le lieu et de la présence résiduelle de son écoute. Chaque piste son développe l'ensemble de son processus dans une durée de deux à trois minutes. Ainsi lorsqu'il déambule dans le reste de l'exposition, hors du champ de la stéréophonie le visiteur a en bruit de fond une trace du développement temporel des bandes. Une écoute rapprochée qu'il peut choisir d'accomplir ou non en se plaçant entre les deux enceintes lui donnera alors les détails relatifs à l'impression qu'il avait dans une relation lointaine à ce qu'il entendait. Il pourra alors entendre le passage d'une masse sonore artificielle à des sons issus de notre expérience acoustique quotidienne, ainsi que le processus de ce passage. Chaque piste se comporte comme un volume compact constitué d'une surface plane pliée sur elle-même et qui se déplie progressivement jusqu'à la fin de la piste. On se retrouve donc dans un premier temps face à une forme explicitement artificielle, puis face à une forme en train de se faire, et enfin face à un simple cliché sonore d'une situation acoustique courante, rappelant quelque chose que chacun a pu entendre par ailleurs dans telle ou telle situation de la vie quotidienne. {br} '''espaces embarqués et surface du temps''' Par ce travail j'ai commencé à envisager le fait qu'une bande son peut ne pas constituer une totalité perceptive, un monde en soi, mais rentrer en relation dialectique avec la situation du temps, de l'espace et du contexte dans lesquels elle se présente. Je cherchais à embarquer dans une bande son un espace mental qui puisse se parcourir mentalement comme peut l'être physiquement (mais aussi mentalement) un espace réel. Dans cette pièce les sons diffusés par le dispositif sont pré-enregistrés, donc fixés dans le temps. C'est donc au niveau de l'esprit que ce mouvement peut se faire, dans la manière dont l'esprit peut ou non jouer avec ce qui lui arrive par le biais de la perception mise en relation avec son vécu et sa connaissance des espaces réels. Il s'agit de ne pas happer l'attention du spectateur, de lui laisser sa possibilité de mouvement, comme dans un espace qu'il peut parcourir physiquement. Les éléments que je fais intervenir dans mes bandes son ont souvent un degré de hasard dans leur présence. Le mode de montage des divers éléments sonores entre eux est souvent totalement mou, au sens où il donne à entendre des sons qui pourraient être agencés d'une façon différente de celle dans laquelle ils apparaissent sans que les bandes en soient fondamentalement différentes. Les divers éléments sont agencés entre eux dans l'idée de tester leur propre présence dans un contexte, et non de prendre une place définitive. Ces bandes restent des agglomérats de signaux test et ne prennent pas le statut d'œuvre définitive. C'est le test et non l'œuvre que je travaille à aboutir. C'est le test qui est l'œuvre (c'est-à-dire que mes œuvres sont des tests). Je travaille avec des phénomènes de retard, redoublement et répétition, mais qui ne sont plus des phénomènes métriques réguliers, au sens de répétitions rythmées, donc prévisibles, tels que peut l'être par exemple l'écho entendu au sens de phénomène acoustique. Comme on peut établir une dynamique dans l'intensité sonore, c'est-à-dire un degré important de différence entre les sons les plus forts et les sons les plus faibles j'établis un espacement entre les sons tels qu'on peut les attendre et leur apparition effective. C'est-à-dire qu'avant de donner une suite à tel ou tel son je dégage un champ de possibilités tout autour de lui. Pour l'instant j'ai procédé pour cela essentiellement de deux manières. L'une consiste à ralentir le temps (on peut aussi dire à le distendre) à l'intérieur des bandes en construisant des évolutions très lentes, molles, distendues. Cependant même en terme de ralentissement je me suis démarqué d'un simple étirement régulier du temps en intégrant des flottements dans la régularité de l'horloge des bandes son. L'autre, qui provient d'une pratique de travaux pour espace d'exposition que je développe continuellement en parallèle, consiste à dissoudre la sensation de temps dans l'écoute des bandes, à mettre même la présence des bandes en retrait, à faire oublier que l'on est dans un cadre d'écoute délimité par une bande. Dans ce cas je suis passé d'un mode du parcours, pratiqué notamment par la composition musicale, à l'établissement d'un terrain, vague, d'une friche, d'une aire sur laquelle sont disséminés des objets et des signes. {br} '''faire avant de travailler''' Toute cette zone d'activité est apparue chez moi dans une relation de rencontre avec des dispositifs technologiques déjà en fonctionnement, dans un contexte industriel et technologique déjà hautement élaboré et développé, du fait que je suis né dans une société hautement équipée en électronique et notamment en électronique sonore. Pour ainsi dire des visages me sont apparus dans les fonctionnements mêmes des machines à son (non pas des visages dans les fonctionnements mais les fonctionnements comme visages) présentes dans l'environnement domestique (via les chaînes hi-fi, récepteurs radio, alarmes, etc.), alors que ces outils n'avaient pour rôle de contribuer à faire apparaître des visages qu'au bout d'un processus de projet, d'une intention. Le projet est alors devenu pour moi de sortir du projet intrinsèque des équipements audio, de cette géométrie du projet comme on sortirait du modèle géométrique qui a accompagné et soutenu tout notre développement social et culturel (saut extra-culturel qu'accomplit vraisemblablement en discrétion à quelques moments de sa vie toute personne). Les choses ne se font plus par le travail d'un projet défini et réalisé de façon linéaire mais par la rencontre avec une entité qui se détache de soi-même, dans l'approche de ce phénomène de détachement. Quand à la fabrication, elle est mécanisée et automatisée: mes machines fabriquent des choses et moi j'écoute ces choses. La bande sonore apparaît ici par le vécu qu'en a le visiteur sans qu'il n'y ait pour lui de travail. Sa bande sonore apparaît sans qu'il n'en formule le projet. Au moment où dans mon parcours personnel j'ai assumé une position de créateur les machines fonctionnaient déjà. C'est cela que j'appelle assez spontanément les « robots ». Comme tout un chacun je suis entouré de robots, de machines qui fonctionnent déjà sans mon intervention. Mon acte d'artiste consiste à leur poser une question de simple curiosité: « qu'est-ce que ça fait si... ». Et cette question je la pose via une pratique de création sonore. {br} '''machines à vécu''' Il ne m'est plus alors nécessaire de faire figurer le processus, en montrant par exemple les machines en elle-mêmes de visu, ni en les faisant figurer. Il ne m'est plus nécessaire d'expliquer les fonctionnements techniques des appareils (mécaniques, analogiques, numériques, virtuels) mis en œuvre. Ce qui m'intéresse c'est un autre fonctionnement: celui de la sensibilité. La machine est en nous et c'est avec elle que je travaille. C'est nos machines intérieures et intériorisées qui font apparaître mes pièces d'artiste. C'est bien d'êtres humains que proviennent les machines. Les machines sont une occasion de s'objectiver, de se mesurer. Se mesurer aux machines comme on se mesurait entre chevaliers. {br} '''galerie des glaces''' Elargir le périmètre de l'écho, établir le périmètre de l'écho. L'une de mes pistes actuelles de travail consiste en une série de rediffusion d'enregistrements de sons apparus dans l'environnement du quotidien (le mien, voire le notre, quand ces prises de son sont acoustiques, le notre quand elles proviennent des radios commerciales). J'ai notamment travaillé à partir de journaux radiodiffusés. Ces enregistrements sont effectués par des dispositifs automatiques programmés branchés sur des récepteurs radio domestiques. Des systèmes de lecture automatisés se chargent ensuite de les relire dans un ordre que je ne contrôle pas (bien sûr, je travaille à faire une place spécifique à ce désordre). Le processus d'écho n'opère plus par une écoute de nous-mêmes mais ici d'une chose avec laquelle nous avons un lien, un son qui fait partie de notre quotidien, du son qui nous appartient en tant qu'étant localisé dans notre quotidien dans un espace et dans un temps. Comparé à un effet d'écho stricto sensu les temps de répétition sont élargis et la métrique régulière de l'espace de la mémoire de l'écho se trouve dissoute. Nous ne sommes plus dans un dispositif physiquement contrôlable dont nous pouvons reconstituer mentalement le déroulement en nous informant de l'heure qu'il est. Ce n'est plus les faits que nous contrôlons mais, s'il est encore question de contrôler quelque chose, notre façon de les vivre. {br} '''des pensées dans les formes''' A Versailles sous Louis XIV la Galerie des Glaces était un dispositif de contrôle, qui produisait des images bien encadrées mais qui en produisait une multiplicité. Ce dispositif de miroirs multiples s'établit sur une contradiction entre la réalité de la vision et le cadrage du miroir. Sur le plan de notre constitution biologique d'êtres humains notre regard n'est pas constitué d'une zone nettement délimitée de vision nette en-dehors de laquelle il n'y a que de l'opaque, contrairement à ce que formalise le système pictural occidental avec sa définition d'une netteté égale sur toute la surface picturale et cette brusque interruption du champ de vision au-delà des bords. Notre vision, au sens biologique, est progressive, passant d'une zone de netteté centrale à une zone de plus-en plus floue sur les côtés, le tout dans une répartition plus circulaire et nuageuse que nettement rectangulaire. Dans la Galerie des Glaces la disposition des vues investit les marges de notre champ de vision ainsi que la partie aveugle de celui-ci correspondant à ce qui se situe derrière notre tête et que sur le plan optique nous ne voyons pas. De plus la multiplicité de vues de type pictural constituée de l'ensemble des miroirs est en contradiction avec le contrôle de l'image des sujets par eux-mêmes que devrait permettre le cadre limité de chacune des ces images. L'appréhension même du flou comme limite progressive du champ de vision est elle-même dissoute. Comme « troisième œil » je propose le sonore, mais à condition que le regardeur autorise une vacance à son observation (tant auditive que visuelle d'ailleurs). Par jeu de fragmentation et retour de fragments de l'axe temporel de la bande son je m'amuse à accélérer un système de galeries des glaces beaucoup plus vaste spatialement que celui de Versailles et qui est le système médiatique. Je me vois comme un individu dans un gigantesque système qui est le système médiatique et qui m'apparaît dans mon imagination comme étant comparable à la galerie des glaces. Pour moi la galerie des glaces redevient un jeu, un kaléidoscope. {br} '''l'enregistrement comme chambre d'écho''' Nous appréhendons l'enregistrement essentiellement comme un média. Mais la lecture d'un enregistrement n'est pas simplement documentaire. Pour une personne qui est en train d'entendre cette lecture il s'agit également d'une expérience. On peut considérer les différentes auditions par une même personne d'un même enregistrement comme un écho étendu dans le temps, un écho à très grande échelle, l'auditeur basculant dans une temporalité miniature de lui-même. Chaque nouvelle audition de l'enregistrement apparaît comme en rebond par rapport à la précédente. En cela j'envisage l'ensemble de ma production comme une vaste chambre artificielle d'écho de sons qui me parviennent de mes diverses situations quotidiennes de vie. Je peux à présent envisager mes bandes non comme des formats fermés mais comme des éléments d'expérience. Je vois mes enregistrements comme des rebonds de la projection dans le réel que sont nos vécus. Ainsi Truc se présente sous forme d'un boîtier contenant deux exemplaires d'un même disque dont chaque piste tient plus du bruitage à intégrer dans un acte de lecture que d'une piste qui serait à écouter dans une simple perspective stéréophonique. Chaque piste de Truc peut être considérée comme un fragment qui aurait été découpé et extrait d'un écho. Mais j'envisage également tout enregistrement apparaissant dans tout type de média comme un fait d'écho. C'est ce que l'on peut entendre par exemple dans Un Clocher, pièce sous forme de piste sonore qui est constituée d'un très grand nombre de répétitions de trois très courts extraits d'un disque du commerce. {br} '''formater ou arpenter?''' Un enregistrement n'est rien de plus qu'une matière formée de manière à retenir des informations sous forme de codes. Entendre un enregistrement c'est en soi ne rien entendre ou, pour être plus précis, entendre de l'insignifiant. On n'entend jamais que la synthèse générée par la convergence d'information. L'enregistrement, pour se manifester dans un ordre de grandeur qui soit significatif (c'est-à-dire qui prenne place dans notre expérience de perception acquise à la surface de la terre), branche pour ainsi dire le flux de ses informations sur un récepteur qui est en nous, un récepteur de code et qui traite du code. Ce qui se manifeste à nous comme étant entendu ce n'est pas l'enregistrement lui-même mais la synthèse qu'en produit notre complexe de décodage, l'impression synthétisée par le code reçu et traité. Cela explique que nous puissions éprouver une adhésion à des signaux qui sont très pauvres sur le plan de la finesse sonore, bien en deçà de notre finesse de perception physique des sons. En effet concernant un enregistrement de musique métrique ou tonale c'est la cohérence métrique et/ou tonale qui l'emportera sur l'imprécision sonore. Les systèmes musicaux métriques et tonaux s'appuient sur une mesure et une récurrence. Le sonore ne s'y adresse pas à du sonore mais à un système. La machine musicale est une machine qui est déjà en fonctionnement, un fonctionnement par défaut, chez l'auditeur avant que toute musique n'arrive à son oreille. Cette machine musicale reconnaît et réassemble en un assemblage intérieur, une intériorisation de la musique pour chacun, ce qui est diffusé pour tous. Les musiques avant-gardistes elles-mêmes prennent place dans ce champ de recomposition automatique. La différence avec des musiques nettement tonales et métriques c'est qu'elles inventent des jeux de cache-cache et une posture nettement ludique vis-à-vis de la machine qui tente de recomposer quelque chose de musical à partir des signaux sonores. {br} Dans la plupart de mes bandes audio l'enregistrement est une pure expérience qui ne rejoint aucun système métrique, aucune machine de recomposition. J'en appelle chez le spectateur à une activité de recomposition qui est celle que l'on trouve dans le champ des arts visuels. Et c'est bien une activité, dans la continuité de celle que nous établissons tous communément dans notre relation à notre environnement dans sa perpétuelle mouvance. La différence vraiment signifiante entre mes bandes audio et les divers stimuli déjà présents dans l'environnement de tout un chacun est que mes bandes contiennent un parcours, un tracé, un déplacement, un balisage, un guidage. {br} Sur le plan des conditions d'écoute la simple lecture de ce signal représentant un guidage pose déjà une question qui est celle de la précision de lecture. Mais que pourrait être cette précision? Car l'écho, l'acoustique de cette chambre, prend le temps de passer par, de se faire rattraper par, une expérience consciente du vécu de l'écoute. La piste sonore ne cache plus son jeu car elle est processus. La chambre en retard distord une hypothétique ligne droite du temps. Les formes sont leur propre déformation. {br} Microcosme production-diffusion: produire et diffuser en même temps. Ici la production n'est pas un travail manufacturé. Quelque chose est produit par un dispositif qui, en même temps diffuse ce qui est produit. {br} {br} -------------------- -------------------- -------------------- {br}
Password
Summary of changes
Powered by
LionWiki
. Last changed: 2024/12/20 11:59
Erase cookies
Syntax
History